On le nomme « Gwenn-ha-Du » en breton, « Bllan e Nair » en gallo (soit « blanc et noir » en français). Certains imaginent qu’il a été arboré lors de batailles victorieuses contre le roi de France. Au risque de décevoir les âmes romantiques, il faut se rendre à l’évidence : le Gwenn-ha-Du n’a rien d’un emblème traditionnel.
C’est même un drapeau plutôt récent, puisqu’il a été créé entre 1923 et 1925. Son inventeur ? Un jeune architecte originaire de Vitré, Morvan (Maurice) Marchal. Le jeune homme milite alors au sein de l’Emsav (prononcez « Emzao »), le mouvement breton qui revendique une plus grande autonomie de la région, voire son indépendance. Morvan Marchal est très engagé : il rejoint les Seiz Breur, un groupe de jeunes artistes, dont beaucoup étudient à Paris, guidés par la volonté de donner une image moderniste de la Bretagne, tout en puisant dans la tradition. Le militant est également le cofondateur du Groupe régionaliste breton. Ce mouvement politique se dote d’un journal, Breiz Atao ! (« La Bretagne toujours ! »), qui se dit voué au « relèvement de la Patrie bretonne ». Dans le même élan, Morvan Marchal souhaite donner un emblème moderne à la Bretagne, à l’instar de la Finlande, la Catalogne ou l’Irlande, dans une Europe où la montée des nationalismes s’intensifie dans l’entre-deux-guerres.
Un drapeau inspiré des États-Unis
Si Morvan Marchal utilise des emblèmes caractéristiques de la Bretagne du Moyen Âge – le noir et blanc, l’hermine ducale –, il s’inspire, pour la composition, du drapeau des États-Unis. À gauche, à la place des étoiles : 11 mouchetures d’hermines. Les quatre bandes blanches représentent les quatre évêchés de Basse-Bretagne : le Léon, la Cornouaille, le Vannetais et le Trégor. Les cinq bandes noires représentent les cinq évêchés de Haute-Bretagne : Saint-Brieuc, Dol, Rennes, Saint-Malo et Nantes. En 1937, le Gwenn-ha- Du est choisi pour représenter la Bretagne au pavillon breton de l’Exposition universelle de Paris. Cependant, la montée du fascisme en Europe n’épargne pas la région. Des mouvements bretons proches du nazisme, comme le Parti national breton, utilisent le Gwenn-ha-Du. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il est devenu le symbole honni de la collaboration.
Au stade !
Il faut attendre les années 1960 pour que ce drapeau retrouve une nouvelle vie. Et c’est peut-être au ballon rond qu’il doit son salut. Le 26 mai 1965, les joueurs du Stade rennais affrontent l’équipe de Sedan pour la Coupe de France, à Paris. Les Rennais l’emportent : c’est la liesse en Bretagne, mais aussi dans les avenues de la capitale, où les supporteurs victorieux déploient leurs drapeaux. Désormais, le Gwenn-ha-Du ne quittera plus les stades ni les rues. En 1972, lors de la célèbre grève du Joint français, à Saint-Brieuc, il flotte aux côtés des drapeaux rouges. Il est ensuite de toutes les manifestations sociales et culturelles. Diwan, l’Amoco Cadiz, Plogoff… pas une mobilisation sans la bannière noir et blanc. Dans les années 1990, un syndicat étudiant, implanté dans les universités bretonnes, le transforme en un drapeau multicolore, le bien nommé « RaggaBreizh ». Certains supporteurs nantais le réinventent même en jaune et vert pour soutenir leur club. Aujourd’hui, le drapeau breton est sur toutes les plaques d’immatriculation. Encore tout jeune, mais avec de beaux jours devant lui.