Histoire de la délimitation des départements bretons

Auteur : Alain Pennec / novembre 2016
Après la nuit du 4 août 1789 qui supprime les franchises de la Bretagne, le découpage en départements s’engage. La députation bretonne, à l’avant-garde de la Révolution, n’agit pas pour maintenir l’unité de la province. Influencée par le lobby rennais, elle entérine en janvier 1790 une délimitation en cinq départements contestée par Saint-Malo, qui en proposait six, et par certaines petites villes, défavorisées par leur situation excentrée.

Après la décision (moins spontanée qu’on ne l’a dit) d’abandonner en août 1789 les « privilèges » ou franchises territoriales (dans le cas de la Bretagne, un abandon en contradiction flagrante avec les demandes des cahiers de doléances et avec les traités signés), une nouvelle organisation du royaume est désormais possible. Elle donne lieu, à l’Assemblée nationale, pendant plusieurs semaines, à un débat très passionné sur le choix des bases géographiques : soit de 80 à 120 petits « départements » égaux entre eux, soit 25 grandes régions (qui auraient repris en partie d’anciennes provinces). Ces bases impliquent deux organisations différentes de l’État, centralisée ou fédérale. Mais le débat tourne court, les députés bretons, fédéralistes mais indécis, se font déborder. Le découpage en 75 à 85 départements est décidé début novembre ; seule concession : il se fait dans les limites de la province. Cependant il faut aboutir au plus vite.

Le nombre de départements

De nombreuses réunions de travail de la députation bretonne débouchent en moins de trois mois sur une nouvelle organisation territoriale de 5 départements divisés chacun en 9 districts. Toutefois le nombre suscite interrogation ; à partir du 21 novembre, Saint-Malo en force présente un projet argumenté et concurrent de découpage en 6 départements. Son projet est finalement rejeté mi-janvier par la députation bretonne, qui veut apparaître à l’avant-garde de la Révolution. En effet, il bouleverse le travail réalisé depuis quinze jours et qui s’appuie sur un canevas du Comité de constitution de découpage du royaume établi dès septembre ! Canevas qui arrange d’ailleurs les nombreux députés gens de justice, car il reprend grosso modo l’organisation des quatre présidiaux (tribunaux entre sénéchaussées et parlement). Ainsi le département de l’Ouest colle au ressort du présidial de Quimper, qui regroupait Cornouaille et Léon.

Saint-Malo n’a pas eu de chance. Après la mort de son député en septembre, elle n’est plus désormais représentée que par un avocat rennais… qui va joindre sa voix à celle du lobby rennais, très influent (Le Chapelier, Lanjuinais, Defermon…). Pourtant, à l’examen, son projet était pertinent : l’étendue de la province, sa densité démographique justifiaient les 6 départements. Ils auraient de plus mieux respecté les données physiques, historiques, humaines et économiques (par exemple l’hinterland du port malouin) et moins défavorisé la côte nord. Mais Rennes y était opposée, car son département aurait été réduit et sans façade maritime.

La délimitation des 5 départements

Entre l’esquisse de septembre et le résultat arrêté le 30 janvier 1790 par l’Assemblée, les modifications sont nombreuses. Le premier découpage géométrique s’appuie sur les rivières et sur des lignes droites partant des villes. Mais la demande des villes représentées de s’adjoindre un arrière-pays débouche sur des limites plus complexes qui ne respectent plus le tracé des rivières frontalières, comme l’Ellé, la Vilaine ou même la Rance. Le grand gagnant est le département de Rennes : il gonfle vers l’ouest, englobe sur la Manche Saint-Malo, qui réussit in extremis à garder ses chantiers navals de l’autre côté de la Rance – au prix de l’abandon à Saint-Brieuc de plusieurs paroisses à l’est de la Rance. Il lance une OPA sur Redon, traditionnellement vannetais mais port de mer sur l’Atlantique, en cédant Châteaubriant à Nantes, laquelle donne à son tour La Roche-Bernard à Vannes. À la demande de la bourgeoisie urbaine, les préoccupations économiques l’emportent, on le voit, sur les cadres traditionnels. Dans le détail, les trèves suivent le sort de la paroisse mère. Concernant la délimitation dans le pays des marches au sud de la Loire, les marches communes furent partagées entre Vendée et Loire-Inférieure (d’où une limite très sinueuse), malgré le désir des habitants de rallier en bloc la Bretagne.

En 1790, si les Côtes-du-Nord gardent leur nom primitif, on préfère vite pour celles « de l’Ouest » et « du Sud » les noms de Finistère et de Morbihan – seul terme breton retenu, car rappelant le golfe marin (la « petite mer ») homonyme.

Carte de la division de la Bretagne en 6 départements (décembre 1789)

Les contestations

Le choix des chefs-lieux de district et surtout de département entre Quimper et Landerneau va donner lieu à une véritable guérilla entre Léonards et Cornouaillais, qui, meilleurs tacticiens à l’Assemblée, réussissent à contrarier le vote majoritaire local en faveur de Landerneau. D’autres protestations se développent avec plus ou moins d’insistance, de la part de Redon, du Faouët ou surtout de Carhaix. En vain ; la départementalisation achevée en trois mois devient de facto intouchable, car partie intégrante de la Révolution.

 

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Auteur : Alain Pennec, « Histoire de la délimitation des départements bretons », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 24/11/2016.

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Bibliographie

  • Pennec Alain, De la Bretagne eaux départements. Histoire d’un découpage, coll. Bleue, n° 14, décembre 1989, éd. Skol Vreizh, 84 p.

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