Une crise dynastique
Les deux candidats s’en remettent à l’arbitrage du roi de France Philippe VI et l’affaire est portée devant le tribunal des Pairs au parlement de Paris au mois d’août. Un grand nombre de témoins des deux côtés comparaissent. Deux considérations juridiques s’affrontent. La première, défendue par Jeanne de Penthièvre, s’appuie sur la coutume de Bretagne qui accepte la représentation et le droit des femmes. Jeanne affirme qu’elle doit succéder au duché car elle a hérité des droits de son père Guy, frère cadet de Jean III. Elle peut donc devenir duchesse et gouverner par l’intermédiaire de son époux, Charles de Blois, qui deviendrait ainsi baillistre, un cas qui s’est déjà produit sous les duchesses Constance et Alix.
De son côté, Jean de Montfort revendique le trône en tant qu’héritier mâle le plus proche encore en vie puisqu’il est le fils de la seconde union d’Arthur II avec Yolande de Dreux. Son argument s’appuie sur la coutume générale du royaume de France. Il met en valeur le statut de la Bretagne en tant que duché-pairie depuis 1297 et le principe de la souveraineté française en Bretagne. Montfort se fonde aussi sur une interprétation de la loi salique qui a permis à Philippe VI d’exclure Édouard III de la couronne royale. La procédure avait alors provoqué une crise politique et militaire à l’origine de la guerre de Cent Ans.
Philippe VI soutient la candidature de Jeanne de Penthièvre. En effet, en 1337, celle-ci s’est mariée avec Charles de Blois, fils cadet de Guy de Châtillon, comte de Blois, et de Marguerite de Valois, sœur de Philippe VI. En plus d’être le neveu du roi de France, Charles dispose du domaine des Blois-Penthièvre qui l’assure d’un réseau aristocratique très influent.
Jean de Montfort refuse d’accepter un verdict qu’il dénonce comme étant dicté par des considérations politiques. Il entre dans Nantes et se fait acclamer duc par la population. Avec quelques partisans, il entreprend la conquête militaire du duché. Il est appelé à Paris pour entendre la sentence de la cour des Pairs qui lui reproche ses tractations avec l’Angleterre. Devant les menaces, il préfère fuir à Nantes, sans doute juste avant le verdict. Le 7 septembre 1341, l’arrêt de Conflans-Sainte-Honorine se prononce en faveur de Charles de Blois qui peut alors prêter hommage lige à la couronne au nom de sa femme.
Une longue guerre civile
On présente souvent une Bretagne coupée en deux : Haute-Bretagne et grande noblesse du côté de Blois, petite et moyenne noblesse bretonnante de la Basse-Bretagne du côté de Montfort. Mais les choses ne sont pas si tranchées. La bourgeoisie urbaine est divisée. Les combattants sont prêts à servir le camp qui paie le mieux. Pour le petit peuple, la guerre ne signifie pas autre chose que misère, oppressions, pillages, rançons et surcroît d’impôts. La guerre de Succession est avant tout une guerre de siège et de contre-siège de ville ou de place forte avec des escarmouches, des raids et des embuscades. Pour qu’il y ait bataille rangée, il faut que les deux armées acceptent l’affrontement. On essaie le plus souvent de l’éviter et les périodes de conflit sont ponctuées de trêves et de négociations.
La Bretagne : un théâtre de la guerre de Cent ans
La guerre civile s’accompagne dès le début de l’intervention étrangère : le roi de France derrière Blois, le roi d’Angleterre derrière Montfort. Sans bataille décisive, la guerre s’enlise d’autant plus que sur place, chacun des camps bretons, est confronté au problème posé par l’absence momentanée de leur chef. Jean de Montfort est capturé à Nantes dès la fin de l’année 1341 et emprisonné à Paris. Il est suppléé par son épouse, Jeanne de Flandre. Libéré sur parole, il meurt peu de temps après dans des conditions obscures, le 26 septembre 1345. Il reste son jeune fils, Jean, élevé à la cour anglaise sous une tutelle royale très stricte. Charles de Blois quant à lui est capturé lors du siège de La Roche-Derrien, avant d’être transféré en Angleterre où il reste détenu pendant neuf ans.
Le roi d’Angleterre Édouard III ne veut pas de la fin d’une guerre qui lui assure des profits venus du rançonnement des Bretons et des postes lucratifs pour récompenser ses capitaines. La Bretagne, sur la route d’Aquitaine, occupe une situation stratégique et constitue une tête de pont pour le débarquement des troupes anglaises. De son côté, le roi de France souhaite maintenir son influence dans le duché.
En juillet 1362, Édouard III déclare que Jean de Montfort est majeur et lui permet de s’embarquer pour le duché afin de défendre sa cause avec l’assistance des troupes anglaises.
Durant la guerre de Succession, les négociations sont omniprésentes. Ce n’est pas propre à la Bretagne. À aucun moment durant la guerre de Cent Ans, il n’y a eu de rupture des relations diplomatiques et les conférences de paix ont été plus nombreuses que les grandes batailles. En effet, la guerre de Succession risquant de remettre en cause les termes plus généraux de la paix, les rois de France et d’Angleterre se mettent d’accord sur la nomination d’une commission spéciale chargée de régler le contentieux. Un accord est proposé par les deux parties : le duché reviendrait à Charles de Blois à l’exception des trois évêchés du sud, attribués à Jean de Montfort. Ce projet n’aboutit pas. En 1362, la rupture de l’entente anglo-française, l’échec de la commission réunie à Saint-Omer et l’expiration des trêves conclues pour le duché amènent la reprise de la guerre civile. Les deux camps décident de s’affronter en une bataille rangée en rase campagne, dans les landes d’Évran, le 24 juillet 1363, à Mi-Voie, entre Josselin et Ploërmel, près du chêne où s’était déroulé le combat des Trente en 1351. Mais Charles de Blois ne vint pas. Des négociations reprennent pour résoudre le conflit sur la base d’une division du duché au cours de l’hiver 1363-1364, à Poitiers, cette fois sous l’égide d’Édouard, prince de Galles (dit le Prince Noir). Mais tout accord entre les deux prétendants s’avère impossible.
Après la rupture de ces efforts de réconciliation à Poitiers, chaque camp se prépare à la campagne décisive de l’été 1364. Le dénouement a lieu avec la bataille d’Auray, le 29 septembre 1364 qui se solde par la mort de Charles de Blois et la victoire de Jean de Montfort. Les pourparlers aboutissent à la signature du traité à Guérande le 12 avril 1365 qui reconnaît Jean de Montfort comme le seul duc de Bretagne.