Le gallo, une langue à part entière ?

Auteur : Léandre Mandard / octobre 2023

Des malentendus subsistent parfois quant à la nature du gallo. Doit-on parler de patois, de dialecte, de langue ? La sociolinguistique nous apprend que ces différents termes expriment des regards différents portés sur un même objet. Le patois, mot historiquement (mais pas nécessairement) dépréciatif, reste utilisé par une large partie des locuteurs. C’est surtout la dialectologie romaniste qui considère le gallo comme un dialecte, non sans le maintenir implicitement dans un rapport de subordination à la « langue française ». Dans cette perspective, on peut voir le gallo comme un « basilecte », c’est-à-dire la forme la plus éloignée de la variété la plus prestigieuse d’une langue, appelée « acrolecte » (ici, le français de Paris). Cette terminologie, élaborée pour les situations où un créole d’origine française est utilisé à côté du français, apparaît adaptée pour les langues d’oïl. Mais un basilecte peut devenir une langue distincte par volonté sociale et politique : à partir des années 1970, le mouvement militant fait le choix de revendiquer le gallo en tant que langue à part entière, révolution symbolique visant à redorer le blason d’une forme d’expression très déconsidérée. Dans la continuité de cette évolution, l’Institut du Galo promeut aujourd’hui l’appellation de « langue gallèse ». Ce glissement sémantique, consécutif à une prise en charge militante, fait du gallo une langue en état d’« émergence-individuation », selon le sociolinguiste Philippe Blanchet.

Il n’en reste pas moins que les rapports exacts du gallo avec le français intriguent, en raison de la domination du français qui, par conséquent, est pris pour point de repère. Notons d’abord que le premier a été influencé par le second, surtout à partir du XIXe siècle. On peut depuis lors constater un étiolement des particularismes locaux au fil des générations de locuteurs, confrontés à une situation de diglossie. D’autre part, on constate chez beaucoup de gallésants un phénomène d’« alternance linguistique » entre gallo et français, qui s’exerce de manière inconsciente ou volontaire (par stratégie d’adaptation aux interlocuteurs). Ainsi, le passage du français au gallo, chez une majorité de locuteurs, évoque-t-il davantage le déplacement d’un curseur que le franchissement d’une frontière, selon Vincent Morel, ce que l’on retrouve dans le cas des créoles, pour lesquels le statut de langue distincte est désormais bien établi. Enfin, exclu de la vie publique après des décennies de stigmatisation, le gallo s’est souvent réfugié dans des cercles d’interconnaissance resserrés et affinitaires.     

Partie de palet à la ferme à Marcillé-Robert (35), en 1982. Source : Collections du Musée de Bretagne, n° d’inventaire : 991.0174.5.

La pratique spontanée du gallo est souvent réservée à des sociabilités locales, entre parents, voisins ou proches, appartenant au même monde social. C’est alors que le curseur entre le gallo et le français se déplace le plus volontiers au profit du premier : on imagine mal ces joueurs de palets n’échanger qu’en français de l’Académie.      

En réaction à cette évolution, la pratique contemporaine qui se diffuse depuis les cercles militants vise la récupération d’une richesse lexico-grammaticale en continuelle érosion et la reconquête des espaces sociaux. Ce travail sur la langue, comme pour la plupart des idiomes institués, participe à la transformer. Il implique d’abord un certain brassage des différentes variétés du gallo, comme le montre la généralisation ou la remise en circulation de termes localisés. Le terme ôtè (« maison »), bien connu des néo-gallésants, est un bon exemple : son usage reste limité à certains secteurs des Côtes-d’Armor au milieu du XXe siècle, bien que la toponymie de certains lieux-dits, plus à l’est, laisse penser qu’il fut plus répandu dans les siècles précédents (on trouve ainsi L’Hôtel Hamon à Bédée et Les Autieux Renault à Breteil, en Ille-et-Vilaine). Le souci d’actualisation est important, ce qui peut passer par des extensions de sens (la souéte, groupe d’entraide pour les travaux agricoles, est utilisée pour traduire « association ») ou par l’invention de mots, certains étant devenus courants (motier pour dictionnaire), d’autres plus contestés (vaerouilére pour « médiathèque »). Les formes locales les plus éloignées du français tendent à être plus valorisées que les autres (terouer plutôt que trouver). En définitive, comme la plupart des langues dites régionales au sein de l’Hexagone, le gallo n’échappe pas aux débats relatifs au degré d’innovation terminologique (à l'instar du breton par exemple) et aux velléités de standardisation (à l'instar de l’occitan).

 

CITER CET ARTICLE

Auteur : Léandre Mandard, « Le gallo, une langue à part entière ? », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 26/10/2023.

Permalien: https://bcd.bzh/becedia/fr/le-gallo-une-langue-a-part-entiere

BIBLIOGRAPHIE

  • Blanchet Philippe, « L’identification linguistique des langues et des variétés linguistiques : pour une analyse complexe du processus de catégorisation fonctionnelle », Actes du colloque « Identification des langues et des variétés dialectales par les humains et par les machines », Paris, École nationale supérieure des Télécommunications/CNRS, 2004, p. 31-36.
  •  Morel Vincent, « Chant de tradition orale en Haute-Bretagne : français ou gallo ? » in Mémoires de la Société historique et archéologique de Bretagne, Tome CI, Livre 2, 2023, pp. 573-593.

        

Proposé par : Bretagne Culture Diversité