Le massacre de Penguérec

7 août 1944
Auteur : Dimitri Poupon / avril 2024
Le lundi 7 août 1944, au commencement du siège de Brest et alors que l’armée américaine approche du port du Ponant, des soldats allemands massacrent 42 civils à Penguérec, village de la commune de Gouesnou. Si les étapes de ce massacre sont aujourd’hui connues, des zones d’ombre subsistent toutefois sur les causes de cette attaque meurtrière ainsi que sur l’identité de certaines victimes.

Lorsque les Alliés déclenchent l’opération « Overlord » sur les côtes de Normandie le 6 juin 1944, Gouesnou est une paisible commune bretonne située au nord de Brest. Elle est occupée par les troupes de la Wehrmacht depuis le 20 juin 1940. L’Occupation se passe sans événements notables. Proche de Brest, Gouesnou subit toutefois les ratés des bombardements de la cité portuaire, et pas moins de 179 bombes sont déjà tombées sur la commune au 15 janvier 1942. Hormis Brest, les communes alentour ne représentent pas une zone importante de résistance. De petites unités de résistants se forment toutefois progressivement dans la région. À Gouesnou, un petit groupe d’une dizaine de résistants se constitue au printemps 1943 autour de Philippe Prédour et de ses frères. Ce cultivateur de 32 ans, qui travaille dans la ferme de ses parents, était jusqu’alors mobilisé dans l’armée de Vichy. Ces hommes se revendiquent du mouvement Défense de la France, et deviendront, à l’été 1944, membres des FFI. Entre 1943 et 1944, les actions de ce petit groupe sont modestes ; les résistants vont, par exemple, cacher quelques armes pour le compte de résistants brestois.

Entre le débarquement du 6 juin et la mi-juillet 1944, les Alliés « pataugent » dans le bocage normand, progressant beaucoup moins rapidement qu’escompté. Il faut attendre la fin juillet pour voir les Américains percer le front dans leur secteur, notamment grâce à la IIIe armée du général George Patton. Une fois entrés en Bretagne le 1er août, les Alliés se dirigent rapidement vers Brest afin de bénéficier d’un port en eau profonde, vital pour la logistique alliée. Mais la ville est puissamment défendue par une armée allemande qui a transformé la ville en festung (forteresse) : le port, transformé en base pour les sous-marins – les fameux U-Boot –, revêt une réelle importance stratégique. De plus, avec l’avance américaine, les troupes allemandes présentes en Bretagne reçoivent l’ordre de se replier vers Brest, augmentant par conséquent le nombre des défenseurs.

En arrière-plan, le pont de Plougastel (années 1930). Source : Musée de Bretagne. Numéro d’inventaire : 982.0008.945.

Partie de la région rennaise le 4 août, la progression de la 6e division blindée est fulgurante : en trois jours elle se présente devant Brest. Au soir du 6 août, les Américains sont à Plabennec, à 3 km au nord de Gouesnou. Leur situation est précaire : ils combattent au sud les Allemands de la 343e division d’infanterie sur une ligne Milizac/Gouesnou/Guipavas, mais également la 266e division d’infanterie sur un front nord, dans le secteur de Lesneven. Le 7 août à midi, l’état-major allemand à Brest décrète l’état de siège. Les Américains, qui n’ont pas réussi à lancer une attaque sur Brest, reçoivent le soutien des FFI, qui remplissent leur rôle d’éclaireurs et de guides pour les troupes américaines.

Des Allemands assiégés

À Gouesnou, les résistants sont avertis que des soldats allemands ont établi un poste d’observation en haut du clocher de l’église, d’où ils coordonnent les tirs de leur artillerie. Craignant d’être trop exposés à l’artillerie allemande, les Américains refusent d’engager leurs chars. Il faut donc une attaque avec des unités légères. Philippe Prédour et les Américains font alors appel aux hommes du Special Air Service (SAS), ces parachutistes de la France Libre formés par les Britanniques aux combats de guérilla et aux attaques commando. Ils ont été largués par petits groupes de 8 à 10 hommes sur le Finistère, début août, dans le cadre de l’opération « Derry ». Ils ont pour objectifs de sécuriser les ponts de Morlaix, de Plougastel, de localiser les positions allemandes et de venir en aide à la Résistance. Dans la région de Lesneven, un groupe de 8 SAS, le Stick n° 4, commandé par le sous-lieutenant Maurice Gourkow, a été largué dans la nuit du 4 au 5 août. Ce groupe a pour mission de marcher vers Brest tout en cartographiant les positions ennemies.

Ce sont ces SAS qui viennent en renfort des FFI pour l’attaque du clocher. L’attaque débute vers 14 h, elle ne dure qu’une vingtaine de minutes. Les Allemands s’accrochent vigoureusement à l’église et réussissent à appeler des renforts basés à la batterie de Roc’h Glaz, un hameau à 3,5 kilomètres sur la commune de Lambézellec. Ces derniers arrivent rapidement. Submergés par les soldats allemands, les SAS et FFI ordonnent le repli vers le nord-ouest. C’est à ce moment que deux SAS sont tués. Le groupe se dirige ensuite sur la route Gouesnou/Saint-Renan où il attaque un convoi allemand et libère des prisonniers nord-africains (leur nombre et leur origine exacts sont à ce jour inconnus), qui s’enfuient après s’être emparés des armes des Allemands.

L’attaque à Penguérec

Les Allemands décident de réagir à ces attaques « terroristes » en capturant des otages. Pour eux, cette réaction est obligatoire. En effet, depuis les ordonnances Sperrle et Keitel des 12 février et 4 mars 1944, le règlement militaire allemand stipule que tout officier allemand doit répondre avec la plus grande sévérité aux attaques de partisans contre des soldats ou des installations allemandes en ripostant par le feu, en isolant la zone concernée, en arrêtant tous les civils de la zone et en incendiant les maisons. Et ce, sans devoir attendre l’autorisation de riposte des autorités supérieures. Si celle-ci n’a pas lieu, l’officier s’expose à des sanctions graves. À noter que l’ordonnance de Sperrle précise que « les mesures prises, même excessives, ne pourront pas entraîner de sanction ».

Vers 16 h, un camion en provenance de la batterie de Roc’h Glaz se présente face aux fermes des familles Phélep et Simon au lieu-dit Penguérec, au sud-ouest du bourg de Gouesnou. Ces soldats appartiennent à la 805e Marine-Flak-Abteilung de la Kriegsmarine. Ce sont des artilleurs de la marine qui ont pour rôle d’abattre les avions alliés venus bombarder la base navale. À peine sont-ils arrivés qu’ils mitraillent la ferme Simon et mettent le feu au foin. La famille Simon part s’abriter dans la ferme Phélep qui se trouve de l’autre côté de la cour. Les deux familles se réunissent dans la cuisine et observent les Allemands par la fenêtre. C’est alors que Jean Phélep, 53 ans, décide de sortir dans la cour, un torchon à la main en guise de drapeau blanc, et tente de parlementer avec les assaillants. C’est peine perdue : les Allemands jettent des grenades par la fenêtre. Yvette Phélep, 12 ans, est touchée à la jambe par des éclats de grenade mais arrive à sortir par une porte arrière et s’enfuit. Très vite, la ferme Phélep est également incendiée. Marie-Louise Phélep, la femme de Jean, et sa fille Francine tentent de faire libérer les animaux pour leur éviter de finir carbonisés mais elles sont également abattues. Le fils, Pierre Phélep, 21 ans, tente de fuir à travers champs, mais est lui aussi tué, ainsi que Marie-Jeanne Kerboul, 20 ans. Jean Phélep, qui avait réussi à prendre la fuite, est rattrapé à une centaine de mètres de sa ferme et est abattu dans un fossé. Les Allemands mitraillent également la ferme des Luslac qui se trouve de l’autre côté d’un talus. Jacques Luslac est grièvement blessé. Au même moment, sa fille, Marie-Jeanne, arrive à Penguérec avec son fils René sur son char à banc. Les deux sont immédiatement tués.

42 victimes

À peu près au même moment, dans le bourg, les Allemands raflent plusieurs personnes. Ce sont majoritairement des Gouesnousiens, mais des Brestois, qui évacuaient la ville depuis le matin, sont aussi arrêtés. Par ailleurs, d’autres personnes ont été raflées dans différents hameaux de Gouesnou. Après plusieurs heures, gardés en joue le long du mur d’enceinte de l’église, et sous un soleil de plomb, les hommes sont ensuite séparés des femmes et des enfants, puis conduits vers Penguérec. Là, ils sont ligotés par deux ou trois et sont fusillés. Leurs corps sont ensuite entassés sur un tas de fumier, et les Allemands y mettent le feu. Près d’une semaine plus tard, vers le 14 août, et sur ordre des Allemands, trois Gouesnousiens sont chargés d’enterrer sommairement les corps. Ils seront par la suite inhumés dans une fosse commune du cimetière de Gouesnou, en janvier 1945. Parmi les 42 victimes de ce massacre, 9 d’entre elles n’ont pas été identifiées. Il pourrait s’agir d’un groupe de résistants associé à Pierre Phélep, l’un des jeunes habitants de Penguérec. Or, aucune source ne peut étayer cette hypothèse.

La ferme Phelep, peu après le massacre. Archives : Dimitri Poupon.

Si aucune archive allemande ne mentionne avec exactitude les responsables de ce massacre, il est fort probable qu’il s’agisse des soldats de la 805e Marine-Flak-Abteilung. Elle était l’unité allemande la plus proche de Gouesnou, et certains soldats ont été reconnus par des habitants. Après la guerre, aucun procès n’a lieu pour condamner les auteurs de ce crime. Il faut tourner la page, reconstruire la France et retisser progressivement des liens avec l’ancien ennemi. Les moyens alloués à la recherche des « petits » criminels de guerre allemands sont par ailleurs dérisoires. De plus, le fiasco du procès de Bordeaux en 1953, qui a jugé les responsables du massacre de 642 personnes à Oradour-sur-Glane, ne motive personne à entreprendre de telles actions.

 

CITER CET ARTICLE

Auteur : Dimitri Poupon, « Le massacre de Penguérec », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 23/04/2024.

Permalien: https://bcd.bzh/becedia/fr/le-massacre-de-penguerec

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Proposé par : Bretagne Culture Diversité