Les Bretons et l’alcool

Auteur : Thierry Fillaut / mars 2017
On meurt de moins en moins par alcoolisme en Bretagne. Et comme le soulignait déjà en 1993 l’Observatoire régional de la santé, la réalité présente ne correspond plus à cette image d’un alcoolisme quasi généralisé de la population bretonne qui prévalait il y a cinquante ans. Pour autant, la mauvaise réputation des Bretons en la matière fait encore la une. Souvent avec raison, car la région n’en a malheureusement pas fini avec ce grave problème de santé publique, mais aussi parce que les stéréotypes ont la vie dure et celui du Breton alcoolique particulièrement.

Une fâcheuse réputation héritée du passé

La réputation de mauvais buveurs des Bretons semble établie depuis l’Ancien Régime. Mais c’est au cours du XIXe siècle qu’elle s’affirme. Ivrognes et gros buveurs d’alcool, tel est le portrait peu flatteur des Bretons que brossent alors nombre d’hygiénistes et de notables. Chiffres à l’appui, ils montrent que le mal ne cesse de prendre de l’ampleur, par exemple dans le Finistère où la consommation individuelle de spiritueux triple quasiment en 80 ans (en alcool pur, 1,9 l/h en 1826, 5,5 en 1906).

Es-tu donc une bête et non un chrétien ? L’ivrogne (Coll. Hamonic) -  Cartolis

Le public sera rapidement convaincu du bien-fondé de ces assertions. L’école contribue à les diffuser au travers de textes et tableaux édifiants que les instituteurs utilisent pour faire la leçon d’antialcoolisme. Localement, la carte postale enfonce le clou sans détours, à l’instar de la série caricaturale « La Bretagne » de l’éditeur Artaud et Nozais, ou parfois plus insidieusement au moyen d’une légende moralisatrice.

La série de cartes « La Bretagne » des éditions Artaud et Nozais, véhiculent le stéréotype des Bretons alcooliques. Elle avait à l’époque fait l’objet d’une multitude d’interventions pour que l’éditeur en cesse la diffusion et les vendeurs de la mettre en rayon - Cartolis

Or, toutes boissons confondues, l’on ne consomme pas davantage d’alcool en Bretagne qu’en moyenne en France vers 1850. Et si en Ille-et-Vilaine le cidre est rapidement présent sur toutes les tables, en Basse-Bretagne en revanche, l’eau et le lait demeurent les boissons du quotidien pour de nombreuses familles. Ce sera encore le cas dans le Léon à la Belle Époque.

Des manières de boire différentes

Quoique faibles consommateurs réguliers, les Bas-Bretons font figure d’accusés parce que, sobres quotidiennement, paysans et ouvriers s’enivrent volontiers lorsque l’occasion s’en présente. Et les occasions sont nombreuses : dimanches et jours de fêtes, pardons, mariages, baptêmes et enterrements, sans oublier les foires et marchés.

Scène d’ivresse. Bouet Alexandre (texte), Perrin Olivier (dessins), « La fin du pardon », pp.157-160 in Breiz Izel ou vie des Bretons de l’Armorique, Paris, B. Dusillion éditeur, 2e édition, 1844, t. , 162 p

Pire, aux yeux des observateurs, « les deux sexes de la population bretonne sont portés vers les excès et les dérèglements de la boisson dès le plus jeune âge » (A. du Châtellier, L’agriculture et les classes agricoles de la Bretagne, 1863). Et pour ce faire, ils préfèrent souvent l’eau-de-vie (gwin ardent) à toute autre boisson : elle représente 60 % de la consommation alcoolique totale d’un Finistérien en 1865.

E mè qui fait la goutte - Cartolis

Pour les contemporains, dont la conception de l’alcoolisme se limite alors aux conséquences d’une consommation excessive de boissons spiritueuses, il ne fait donc aucun doute que les Bas-Bretons sont des alcooliques. À leurs yeux, ivresse et abus d’eau-de-vie sont la preuve de l’étendue du mal dans la région et de la nécessité de l’endiguer.

Lutter contre l’alcoolisme, ce sera donc d’abord lutter contre l’ivresse publique et manifeste, et ce, sans attendre la loi du 23 janvier 1873, qui sera appliquée localement avec plus de rigueur qu’ailleurs : en 1902, le Finistère totalise le tiers des ivresses correctionnelles françaises. C’est aussi contenir l’augmentation de la consommation des alcools en prônant celle des boissons fermentées, notamment du vin : la distribution du pinard aux poilus en est un exemple.

De l’ivresse à l’alcoolisme : la loi du marché

La donne change dès la fin du XIXe siècle. À l’exception de quelques régions qui n’en produisent pas ou peu (Léon par exemple) ou qui cultivent la vigne (Pays nantais), le cidre devient la boisson habituelle au repas au fur et à mesure que le pommier gagne du terrain : dans les années 1930, la Bretagne produit le tiers du cidre français. Le vin rouge (gwin ru), que les pinardiers débarquent à Lorient ou à Brest en provenance d’Algérie, le détrône peu à peu, d’abord au café, lieu incontournable de la convivialité, avant que sa consommation s’impose à la maison dans les années 1960. À chaque génération sa boisson : dans les années 1970, la bière devient celle de prédilection des jeunes.

Avec l’essor de la production et du commerce, les usages évoluent. Dès 1914, quasiment dans toute la région, consommer des boissons alcooliques est devenu une habitude et l’ivresse une phase paroxystique d’une alcoolisation régulière. Les conséquences s’en font sentir un demi-siècle plus tard. La Bretagne est en 1950 la région française où l’on décède le plus par alcoolisme. Et il en sera ainsi jusqu’aux années 1980. Depuis, l’alcoolisation régresse, même si les ivresses répétées des jeunes, largement médiatisées (jeudis soirs rennais ou brestois, soirées cartables), donnent l’impression du contraire.

Les ivresses répétées des étudiants marquent les esprits - Isabelle Audigé « La Biture express », Le Rennais, 13 octobre 2007

CITER CET ARTICLE

Auteur : Thierry Fillaut, « Les Bretons et l’alcool », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 24/03/2017.

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Un épisode des "Clichés Bretons"

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