Les marais salants

Auteur : Gildas Buron / novembre 2016
Jadis indispensable aux conservations alimentaires domestiques ou industrielles, le sel s’obtient par divers procédés d’extraction. Il peut être récolté dans des marais salants, qui empruntent aux techniques agricoles. Ceux de Bretagne, les plus septentrionaux d’Europe, se distinguent par la continuité de leur production depuis le haut Moyen Âge, et le dynamisme de leurs exploitants nommés paludiers.

Quelques préalables à leur implantation

Dispositifs anthropiques de production de sel, les marais salants mettent en œuvre eau de mer, force marémotrice, soleil et vents. Leur implantation suppose le terrassement de sols imperméables, ou schorres, situés aux limites des plus hautes mers. La technique de production étant solaire, il faut en outre que le littoral offre trois conditions climatiques favorables à l’évapoconcentration de l’eau de mer : faibles pluies estivales, longues périodes d’ensoleillement et vents réguliers.

Géographie des marais salants bretons

En Bretagne, ces conditions se sont trouvées réunies dans l’ancien golfe de Machecoul et la baie de Bourgneuf, au pays de Guérande, entre les estuaires de la Loire et de la Vilaine, la presqu’île de Rhuys et quelques sites côtiers échelonnés entre Locmariaquer et Riantec. À l’époque moderne, des investisseurs ont tenté, mais sans succès durable, d’implanter des marais salants sur les côtes nord de la Bretagne, dans le fond de la baie de Saint-Brieuc, et à Saint-Suliac, dans l’estuaire de la Rance. Entre les estuaires de la Loire et de la Vilaine, la saliculture s’est développée sur quatre bassins distincts. Du nord au sud, ces bassins, distants d’une vingtaine de kilomètres, sont identifiés sous les noms de bassin Pénestin, bassin de la baie de Mesquer (abusivement nommé bassin du Mès), bassin de Batz-Guérande (lequel s’étend sur les communes de La Turballe, Guérande, La Baule-Escoublac, Le Pouliguen, Batz et Le Croisic) et le bassin de Saint-Nazaire-Pornichet.

Salines en Bretagne

Des paysages de terre et d’eau

La technique des marais salants est à l’origine de paysages de terre et d’eau originaux. Ils sont d’autant plus complexes qu’ils ont été structurés, comme dans la région de Guérande, autour de réseaux d’étiers et d’émissaires sinueux et étroits, ou bondres, qui relient l’espace de production à la mer, conditionnant des parcelles variables en taille et en formes.

Deux grands types de bassins sont identifiables, délimités par de forts talus d’argile, les réservoirs et les salines. Le réservoir principal se nomme vasière, et le ou les réservoirs secondaires, cobier(s). Seule la vasière reçoit directement une eau de la mer, qui, selon les saisons, titre entre 30 et 35 g de sel par litre. Elle y est admise en manœuvrant une trappe à l’occasion des marées de vive-eau. Les autres bassins, cobiers et salines, s’alimentent à ce réservoir. Les salines ont des surfaces intérieures compartimentées par des levées d’argile, ou ponts en bassins d’évaporation et de concentration de l’eau de mer (fards), de stockage de la saumure (adernes) et de cristallisation (œillets). Leur importance foncière s’exprime en nombre d’œillets, de quelques unités à plusieurs centaines dans quelques cas. La capacité de production s’exprime sur les mêmes bases. Entre 1850 et 1860, à leur apogée territorial, les quatre bassins salicoles du littoral entre Loire et Vilaine totalisaient près de 33 400 œillets. En 2011, on dénombrait 11 500 œillets exploités, mais concentrés sur les bassins de la baie de Mesquer et de Guérande.

Les paysages salicoles sont également modifiés par les négociants en gros à partir des années 1840, l’émergence d’entrepôts d’abord en pierre puis en bois ayant été concomitante du capitalisme industriel sur le littoral, au XIXe siècle.

Vue en perspective du circuit hydraulique d’une saline type. Aquarelle de Roland Chetelat d’après un schéma explicatif de la monographie Marais salants publiée par la SSNOF, 1980.

Principes de fonctionnement et de récolte

À partir de la vasière, une mince lame d’eau est mise en circulation vers la saline. Elle y tourne de façon gravitaire dans les fards, séjourne dans les adernes avant d’être distribuée aux œillets par un canal nommé délivre. La saumure qui s’est concentrée sous l’action du soleil et du vent y précipite lorsqu’elle atteint entre 270 et 300 g de sel dissous par litre d’eau de mer.

Une première cristallisation apparaît à la surface de l’œillet. C’est le sel blanc dit encore sel fin, sel guérandin ou sel menu, commercialisé sous le nom de « fleur de sel ». Elle est cueillie manuellement à l’aide d’une lousse. Dans un second temps, le gros sel, ou sel gris, cristallisé sur le fond d’argile des œillets est récolté avec un rouable à long manche ou lasse.

Le paludier et son travail

Le paludier exploitant les marais salants a le statut d’agriculteur. Son travail se répartit entre opérations d’entretien des salines et du réseau hydraulique, récolte et stockage des sels. Pour ces opérations, il dispose d’un matériel adapté et spécialisé : boguette, ferrée, boutoué et lousse à ponter pour travailler la glaise et remuer la vase ; lasse, pour la récolte du gros sel, lousse à sel blanc. Le transport du gros sel à l’intérieur des salines, des plateformes d’égouttage, ou ladures, vers le trémet (surface de stockage estival d’un groupe d’œillets), se fait à l’aide d’une brouette à pneumatique porteur.

Depuis les années 1980, le curage du réseau hydraulique collectif est délégué à la pelle mécanique. De même, la manutention, l’évacuation et le stockage de la production après récolte hors du marais s’effectuent en tracteurs et remorques agricoles alors que le stockage en barges couvertes de bâches alimentaires a supplanté celui en salorges.

La production moyenne annuelle d’un œillet s’établit autour de 1 500 kg de gros sel pour 150 kg de sel menu. Ces deux produits contiennent des chlorures, du sodium mais aussi du magnésium et des oligoéléments présents dans l’eau de mer, composition qui les rend intéressants à la consommation.

À tirer le gros sel sur une ladure de la saline Sigam en Guérande - Photo : Gildas Buron

CITER CET ARTICLE

Auteur : Gildas Buron, « Les marais salants », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 15/11/2016.

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