L’archaïsme des rixes collectives, violences ritualisées
Sans être le fait de criminels sans foi ni loi, la violence s’inscrit dans l’ordinaire des rapports villageois. Ainsi, les rixes collectives entre hommes jeunes de paroisses ou de quartiers différents sont déclenchées sous des prétextes futiles, puis ravivées par souci de vengeance. Elles affichent une brutalité, si ce n’est une férocité inouïe, qui vaut aux Bretons, pour les autorités judiciaires, une réputation de « sauvagerie ».
Force est de constater que les rixes rurales intercommunales ont longtemps perduré dans les campagnes bretonnes, au moins jusqu’à la fin du XIXe siècle, souvent au-delà, sans avoir un caractère résiduel. Ces violences, teintées d’archaïsme, subsistent parce qu’elles sont tolérées par la majorité de la population comme fruit de la tradition, comme symbole de l’honneur rétabli, comme marque de la virilité et de la force de sa jeunesse, autant de valeurs propres aux communautés villageoises.
Les violences contre le pouvoir : une spécificité rurale ?
La première moitié du XIXesiècle voit encore plusieurs flambées de révoltes collectives qui s’analysent comme des violences contre le pouvoir. C’est le cas des séditions paysannes, par exemple celle en lien avec le domaine congéable en 1828 dans le Poher, ou des pillages de blés et farine en période de crise frumentaire. Les pillages de bris de mer, proches par certains aspects des expressions protestataires des campagnes, sont encore assez nombreux à cette période.
Mais alors que ces faits vont se raréfiant, les actions de rébellion envers les agents de la force publique, représentants de l’État, se multiplient à partir de 1845. Le Finistère se situe en haut du tableau national, loin devant les départements voisins. Le facteur alcool y joue incontestablement son rôle ; mais il s’agit avant tout d’une réponse violente, qu’elle soit spontanée ou concertée, individuelle ou collective, à la répression de nouvelles infractions contraires aux usages locaux. L’antagonisme avec les forces de l’ordre se remarque en effet lors de l’application des nouveaux règlements imposés par l’Administration sur les droits forestiers ou la pêche à pied. Il s’accentue nettement avec l’entrée en vigueur de la loi de 1844 qui renforce la répression des délits de chasse, puis celle de 1873 qui réprime l’ivresse publique.
L’hostilité aux textes de loi qui modifient arbitrairement les us et les coutumes génère un sentiment d’injustice et une résistance violente à leur application. Néanmoins, sur la longue durée, ces innovations imposées de l’extérieur finissent par être acceptées. Par ailleurs, de telles poussées de révolte se manifestent peu ou prou dans les régions éloignées de la capitale : cela signifie qu’il s’agit plus d’archaïsme que d’une réelle spécificité.
La violence au quotidien : une violence « de l’intérieur »
La violence bretonne n’est pas que collective, elle s’exerce également selon des modalités individuelles. Mais celle-ci est souvent passée sous silence sous la pression du groupe villageois qui impose ses normes et refuse les écarts de comportement, au nom de sa cohésion. Et quand la rage fait irruption chez les taiseux, le déchaînement des passions devient incontrôlable… Ainsi les haines mûries à l’encontre du voisinage, les conflits d’héritage ou les aléas des successions ou des donations-partages dans une famille sont à l’origine de « grands crimes » irréparables.
Dans cette violence « de l’intérieur » figurent aussi les violences conjugales qui, rappelons-le, s’inscrivent dans le cadre d’unions indissolubles pendant une bonne partie du XIXe siècle. Elles restent assez rares dans les demeures où vivent plusieurs générations. Néanmoins, les barrières protégeant la victime sont quasi inexistantes dans les campagnes. Dans une société patriarcale, il s’agit de ne pas contrer ni ébranler l’autorité maritale au risque de remettre en question tout l’ordre villageois. L’interventionnisme communautaire, oral et distancié en Bretagne, à la différence d’autres régions, s’arrête en général au seuil du foyer que seule la parentèle se risque à franchir, souvent à contrecœur, pour apporter son soutien à la victime. Et l’on note les réserves de la justice elle-même à entrer dans le sein des familles : la violence entre conjoints relève donc, au XIXe siècle, du domaine privé.
Pour les autorités, plus que la nature des crimes, ce sont les détonateurs de la violence qui comportent des particularismes régionaux : la surconsommation d’alcool, réelle, est sans cesse stigmatisée. Plus subjectif est le caractère de « sauvagerie » dont on affuble les Bas-Bretons, une population bretonnante que l’on croit impénétrable et dénuée de sensibilité parce qu’elle ne partage pas la langue des élites judiciaires.