Les premières colonies agricoles pénitentiaires pour jeunes détenus apparaissent au milieu du XIXe siècle, suite à la Révolution de 1848. Cette dernière crée un sentiment de peur chez les élites dirigeantes, qui souhaitent alors encadrer les classes populaires. Les colonies agricoles ont alors pour objectif de redresser les garçons pauvres en leur imposant l’apprentissage des métiers de la terre. Au-delà du caractère répressif du projet, il s’agit également de lutter contre l’exode rural. On impose donc aux jeunes colons un travail de défrichement de parcelles impropres à la culture, dans le but de permettre à de nouvelles populations de s’y installer. La loi du 5 août 1850, inspirée par le fonctionnement de la récente, mais déjà célèbre, colonie agricole pénitentiaire de Mettray, près de Tours, donne un cadre législatif aux nombreuses initiatives privées qui fleurissent alors dans le pays.
Une institution en phase avec son époque
L’avènement de la IIIe République, au début des années 1870, est l’occasion d’une remise en question de ce modèle correctionnel. La multiplication des scandales liés aux sévices endurés par de nombreux colons choque l’opinion publique. L’inefficacité de l’unique formation agricole, dispensée à des garçons pour la plupart urbains et enclins à retrouver leur milieu d’origine à leur libération, est également largement critiquée. Quant à l’État, il entend dorénavant se réserver le droit de punir. La commission parlementaire de 1872 préconise donc l’ouverture de colonies pénitentiaires publiques, offrant des formations professionnelles diversifiées aux pupilles. C’est dans ce contexte que naît la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer.
Un modèle carcéral atypique
L’institution morbihannaise, inaugurée en 1880, est unique en son genre. Gérée par l’État, elle est la première maison de correction publique ouverte en Bretagne. Il ne lui faut que quelques décennies pour supplanter les établissements privés de Saint-Ilan (22) et Langonnet (56), qui ferment respectivement leurs portes en 1888 et 1902.
Dès lors, la colonie belliloise devient la centrale correctionnelle du Grand Ouest. Comptant dans le cercle très fermé des prisons françaises situées en milieu insulaire, l’établissement offre, par sa localisation, un ensemble de garanties aux pouvoirs publics. La barrière naturelle infranchissable formée par la mer empêche les évasions, tout en isolant les pupilles de leurs anciennes fréquentations.
L’archipel correctionnel bellilois s’étale sur trois sites, tous localisés à Palais. La prison de Haute-Boulogne, construite en 1848 et qui n’a jusqu’alors accueilli que des détenus adultes, est le centre névralgique de l’institution. Elle abrite les ateliers, la majorité des dortoirs, les bureaux de l’administration, le réfectoire ou encore l’infirmerie. On y trouve la section maritime, qui dispense une formation complète aux pupilles (navigation, fabrication de cordes, de voiles, de filets) ainsi que la section industrielle qui initie à divers métiers manuels (cordonnier, tailleur, menuisier, maçon, forgeron, etc.).
Le Château-Fouquet, à proximité de Haute-Boulogne, abrite dans ses caves les cachots de l’établissement. Lugubre et traumatisant, il enferme majoritairement les colons indisciplinés en attente d’un transfert dans une structure plus coercitive. La ferme de Bruté, un peu plus loin dans les terres, accueille quant à elle la section agricole de la colonie. Là aussi, les occupations sont nombreuses (jardinage, soin aux animaux, sylviculture…).
Parmi cette exceptionnelle variété de formations professionnelles, la section maritime fait la fierté du ministère de l’Intérieur. L’inauguration de l’établissement bellilois est en effet l’aboutissement d’un long processus de création d’une école correctionnelle de mousses dans l’Hexagone. Après plusieurs tentatives avortées, l’administration pénitentiaire française pense enfin avoir trouvé à Belle-Île-en-Mer la bonne formule pour concurrencer les pénitenciers-flottants britanniques, jalousés dans les Congrès pénitentiaires internationaux. Dès lors, l’établissement devient l’étendard de l’éducation correctionnelle tricolore. Les présentations dithyrambiques de la formation maritime belliloise cachent toutefois une sombre réalité : comme dans toutes les prisons, le quotidien des jeunes détenus y est empli de multiples violences.
Des pupilles maltraités
L’administration pénitentiaire fait le choix de la discipline militaire pour redresser ses pupilles. Le lever se fait au clairon, les déplacements au pas militaires et les manœuvres, assorties de manipulations d’armes factices, sont presque quotidiennes. L’établissement est organisé en un « bataillon scolaire » dont l’objectif est de conduire directement les pupilles de la colonie à la caserne. C’est ainsi que l’État entend préparer la revanche de la défaite de 1870 contre la Prusse, en métamorphosant ses garçons vagabonds, mendiants et petits voleurs en soldats obéissants. La colonie belliloise, aux allures militaro-carcérales, doit donc être envisagée comme une petite caserne.
Dans ce contexte, les traumatismes sont légion. Les pupilles sont tout d’abord victimes de violences physiques répétées. Malgré les règlements qui interdisent toute forme de brutalité, elles sont l’apanage des gardiens qui sont, pour la plupart, d’anciens militaires. Elles sont également le fait des colons eux-mêmes, dont l’apparence physique est très hétérogène et va de l’enfant au jeune adulte. La pression psychologique de l’enfermement, inhérente au milieu carcéral, vient s’ajouter à ce sombre tableau. L’éloignement, à la fois géographique et familial, est expérimenté sous de multiples formes. Au choc émotionnel s’ajoutent de nombreux sévices, dont ces garçons sont les témoins ou les victimes. Qu’ils soient physiques ou psychologiques, les stigmates de la détention marquent les anciens pupilles pour le reste de leur existence.
L’échec d’un projet trop violent
L’administration pénitentiaire française de la IIIe République prétend donc, au sein de ses colonies pénitentiaires, redresser les garçons des rues et leur offrir des clés de réinsertion dans la vie civile. Ce discours officiel se heurte toutefois à la réalité du quotidien de l’institution belliloise. L’échec de ce projet correctionnel est criant et rejoint celui de nombreuses autres institutions disciplinaires (casernes, bagnes, maisons centrales…). En 1927, la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer devient une Maison d’Éducation Surveillée.
Les pratiques restent sensiblement les mêmes : l’évasion de 56 mineurs le 27 août 1934 met notamment en lumière les conditions insupportables dans lesquelles vivent les jeunes garçons. Il faut attendre l’ordonnance de 1945 et la création des Institutions Publiques d’Éducation Surveillée, pour voir les premiers éducateurs débarquer à Palais. L’institution ferme définitivement ses portes en 1977.