Dans une lettre datée du 29 octobre 1942, l’instituteur Armand Keravel (1910-1999), membre de Ar Falz, exprime tout l’enthousiasme qu’il éprouve à l’annonce de l’ouverture prochaine d’une école en langue bretonne à Plestin-les-Grèves :
Gourc’hemennou eta eo e kasan dit, pa glaskez sevel hon hunvre deomp holl : eur skol vrezonek – ha breizat penn da benn. [Je te félicite donc d’essayer de réaliser notre rêve à tous : une école en langue bretonne, et entièrement bretonne.]
Son ami et camarade d’Ar Falz, Jean Delalande dit Kerlann (1910-1969), se retrouve en effet en charge d’un projet qui n’a encore jamais été expérimenté jusqu’à présent : la mise en place d’un enseignement primaire entièrement en langue bretonne. Si quelques initiatives d’enseignement du breton avaient déjà eu lieu, hors de l’école ou dans le cadre de l’arrêté Carcopino de décembre 1941 la tâche qui se présente à Kerlann est immense car tout est à construire dans le domaine pédagogique. Comme l’écrit Keravel :
Gant eul labour a-bouez braz – ouspenn gant eul labour RAMZEL, gouzout a ran – eo e krogez eno. Eun dra kalonek ive. Ha d’it-te e vo an enor da zigeri ar c’henta skol vrezonek.
[Tu vas démarrer là-bas un travail très important – plus que cela, un travail de GÉANT. Quelque chose de courageux aussi. Et c’est à toi que reviendra l’honneur d’ouvrir la première école en langue bretonne.]
L’école de Plestin voit le jour à la fin de l’année 1942 et l’expérience se poursuivra jusqu’en juin 1944. Le contexte n’est pas anodin : alors qu’une grande partie du mouvement breton fait le choix de la collaboration avec l’occupant, plusieurs projets se développent dans le courant de l’année 1941 comme la création de l’Institut celtique, la mise en place d’une nouvelle orthographe du breton, des émissions en breton à la radio, de même qu’un effort de propagande sans précédent émanant du PNB, repris par Raymond Delaporte depuis décembre 1940. Avec une portée symbolique forte, bien que de dimension modeste, le projet de l’école de Plestin s’inscrit dans cette série de réalisations diverses.
Kerlann et Keravel, membres d’Ar Falz depuis 1933, s’interrogent depuis longtemps déjà sur la manière d’enseigner le breton. Dans leur correspondance, il est plusieurs fois question des pratiques pédagogiques de « l’école émancipée », promues notamment par le pédagogue suisse Adolphe Ferrière ou par Célestin et Élise Freinet. Ainsi, pour l’école de Plestin, l’usage de tables individuelles légères avec des chaises pliables, faciles à déplacer en fonction des activités, y compris en extérieur, est envisagé. Dans ses lettres, Keravel donne à Kerlann des conseils pédagogiques : utiliser la méthode globale pour l’apprentissage de la lecture ; favoriser les compositions qui permettent aux élèves d’écrire en toute liberté ; alterner les activités collectives et individuelles ; ne pas donner de travail écrit aux plus jeunes ; établir une correspondance avec une autre classe ; créer un journal et une coopérative scolaire ; enfin, privilégier les activités manuelles à l’extérieur : jardinage ou élevage de lapins, par exemple. Cette expérience s’inscrit également, pour Kerlann, dans le modèle d’apprentissage des langues locales à l’école que Raymond Delaporte, notamment, avait pu observer lors de voyages en Irlande et au pays de Galles à la fin de l’été 1938.
L’enthousiasme lié à l’ouverture de cette école en langue bretonne laisse assez vite place à une forme de désillusion. Elle concerne, tout d’abord, le nombre d’élèves : la lettre de Kerlann du 8 décembre 1942 en mentionne seulement trois. L’ordre de fermer une première fois l’école arrive en avril 1943, faute de déclaration officielle. À la suite de cette première fermeture, le projet de Kerlann évolue : il ne s’agit plus vraiment d’enseigner en breton, mais d’apprendre le breton à des élèves qui ne le parlent pas. Les élèves concernés sont, pour la plupart, issus des familles des militants les plus radicaux qui sont majoritairement francophones. La langue bretonne, élément symboliquement très important dans le cadre de cet engagement politique, a donc pu faire l’objet d’un apprentissage par les adultes, mais également par leurs enfants. Malgré une petite hausse du nombre d’élèves dans la classe, dans sa lettre, Kerlann regrette ce changement d’orientation :
Eus ar skol vrezonek penn-da-benn n’am eus ket gellet sevel, am eus graet ur skol deskiñ brezhoneg. N’hellan ket lavarout n’ezan ket war raok. Abaoe digoridigezh ar skol e tesk ar c’hallegerion. Siouazh, ar paour kaezh brezhonegerien a chom da adchaokat ar frazennoù brezhonek plantet er re all a-hed an deiz. […] Un doare all a vije da ober : ober kentelioù zo e galleg hepken. Ar soñj-mañ avat ne blij ket nemeur din. Istor, douaroniezh, skiant natur h. a. […]a garfen vijent e brezoneg. Pe blas reiñ d’ar yezh c’hallek avat rak ret e vo koulskoude d’ar vugale anaout yezhadur, skrivadurezh ar galleg.
[De l’école entièrement en breton, que je n’ai pas réussi à monter, j’ai fait une école pour apprendre le breton. Je ne peux pas dire que je n’avance pas. Les francophones font des progrès depuis l’ouverture de l’école. Hélas, les pauvres bretonnants restent à radoter les phrases en breton rabâchées aux autres à longueur de journée. […] Une autre solution serait de faire certaines leçons en français uniquement. Cette idée ne me plaît pas du tout. J’aimerais que l’histoire, la géographie et les sciences naturelles se fassent en breton. Quelle place pourtant donner au français, parce qu’il faudra bien que les enfants connaissent la grammaire et l’orthographe du français.]
Après la guerre, Kerlann, condamné à l’indignité nationale pour ses activités pendant la guerre, s’installe en région parisienne et quitte Ar Falz. Cette expérience de Plestin, bien que de courte durée, s’inscrit toutefois dans une série de tentatives d’enseignement du breton et/ou en breton qui se succéderont, sous différentes formes, tout au long du XXe siècle.