L’arrêté Carcopino du 24 décembre 1941 autorise à « organiser dans les locaux scolaires, en dehors des heures de classe, des cours facultatifs de langue dialectale dont la durée ne devra pas excéder une heure et demie par semaine ». Armand Keravel profite de cet arrêté pour mettre en place un cours de breton dans sa classe de cours moyen à l’école publique de Landéda. Dans un rapport pour le recteur de l’académie de Rennes daté du 10 octobre 1943, l’instituteur fait le bilan de cette expérience. Il y consigne nombre de réflexions, aussi bien pédagogiques que sociolinguistiques, permettant de mieux comprendre la portée de cette expérience inédite.
Keravel dresse le portrait des élèves qui ont choisi de suivre le cours de breton (24 sur 32 élèves dans la classe) : ils vivent majoritairement loin du bourg, se passionnent pour les rédactions sur les thématiques liées à la mer et surtout, ils sont tous bretonnants. Au-delà de l’intérêt qu’ils portent aux activités proposées, l’usage du breton en classe tend à réduire la distance sociale entre les élèves et leur instituteur. Il a également pour conséquence de leur faire percevoir différemment la langue qu’ils pratiquent tous les jours et qui revêt des représentations peu propices à la poursuite de sa transmission :
« Le fait de voir sa langue écrite au tableau noir et imprimée dans des livres, et de l’écrire lui-même dans un cahier spécial, supprime d’ailleurs cette sorte de honte de son propre langage que l’on observe si souvent chez le jeune bretonnant. C’est justement cette tendance déplorable qu’il faut combattre, la timidité, le manque de confiance en soi de nos petits campagnards… »
Si le rapport avait pour but de montrer qu’un enseignement du breton était possible, l’expérience achève de convaincre Keravel lui-même de l’intérêt que présenterait la généralisation d’un enseignement du breton à l’école :
« Ma conviction est que tout l’enseignement, et celui du français en particulier, bénéficie de l’étude du breton, que celle-ci met la classe plus proche de la vie, que le travail devient aux élèves moins abstrait, moins mécanique. […] On pourra juger, au bout de quelques années, tout le bien que l’École publique tirera de l’introduction du breton dans l’enseignement. […] Les résultats d’un enseignement généralisé du breton dépasseront tous les espoirs de ses plus chauds partisans ! »
Cette expérience à Landéda a constitué une étape dans l’engagement militant de Keravel : on peut considérer qu’elle lui a donné un but à atteindre pour les décennies qui ont suivi.