Passages vers le monde souterrain
Des dépôts votifs ont été retrouvés dans les tourbières bretonnes : un anneau-disque en or à Maël-Pestivien (1966), des monnaies gauloises à Lannéanou, des traces de pilotis à Plonéis, traduisant sans doute une volonté de communication avec l’autre monde. En Bretagne, ces terres sont censées être une des entrées de l’enfer. Le toponyme An Ifern (l’Enfer) désigne d’ailleurs des zones marécageuses. Anatole Le Braz a popularisé la croyance selon laquelle cette entrée serait située dans les marais du Yeun Elez. Pour Gaël Milin (1998), les zones humides ont été « infernalisées par la culture chrétienne » et on peut se demander quelle est la part du « substrat de la culture autochtone ».
Hors du monde ordinaire
Les marais sont le refuge d’êtres imaginaires, souvent maléfiques – Tan noz et Keler (feux follets) cherchent à perdre le voyageur –, mais aussi celui des marginaux, des populations pauvres. Dans son étude sur le marais de Dol-Châteauneuf (35), Corinne Boujot relève ces insultes adressées aux habitants du marais noir : « braies gares » (culottes tachées), « pattes vasouses », « tas de marauds dans un pertus (trou), les budauds leur chient dessus ». Elle conclut : « Le pauvre est voué au marais comme le marais est voué à la pauvreté ». Dans les années 1970, le marais est encore le « réservoir de main-d’œuvre pour les fermes et usines environnantes ».
Des terres à conquérir
Terres répulsives, elles n’en sont pas moins un enjeu de l’aménagement du territoire. Usages saisonniers, régulation des eaux par drainage et inondation : il faut domestiquer, « nettoyer, chasser la crasse » (C. Boujot). Selon Jean-Christophe Cassard, des marais côtiers sont drainés dès le IXe siècle, le marais de Dol le sera au XIIe siècle (J.C. Cassard, 1998). Au Moyen Âge, on crée des retenues d’eau pour les moulins, et les étangs et lacs artificiels se multiplient, permettant la pisciculture.
Les révolutions agricoles des XVIIIe et XIXe siècles entraînent un mouvement de conquête de ces terres mais « il est frappant de constater, aujourd’hui, que la majeure partie de ces terres “mises en valeur” à grand peine et à grands frais furent très souvent les premières abandonnées, après la diminution de la pression foncière […] » (J.-M. Hervio, 1998).