Un flibustier au service de la France
Engagé comme matelot en 1705, Honoré Deniau débute dans la navigation au long cours à l’âge de 18 ans. En 1706, alors qu’il se trouve en Martinique à bord du Postillon, de Nantes, il déserte le navire et reste sur l’île. La désertion dans les Antilles est fréquente durant cette période : la guerre de Succession d’Espagne (1702-1713) bat son plein et de nombreux matelots sont attirés par les recrutements flibustiers. La flibuste est alors une activité légale, encadrée et encouragée par la couronne. La désertion de Deniau au début de l’année 1706 correspond au rassemblement de l’escadre de Pierre Le Moyne d’Iberville en Martinique : ce dernier y recrute un total de 1 389 flibustiers (sur 27 navires) comme supplétifs aux troupes régulières, ceci afin d’aller piller la colonie britannique de Niévès.
Peu de détails nous sont parvenus sur les activités de Deniau durant ces années de guerre, mais il est toujours qualifié de « flibustier » à la fin du conflit, en 1713. S’il y acquiert une bonne expérience de la prédation maritime, il ne paraît pas avoir exercé de fonction de commandement, n’apparaissant pas parmi les capitaines mentionnés dans les sources.
Un corsaire au service de l’Espagne
Comme pour la plupart des flibustiers, la paix d’Utrecht de 1713 est difficilement vécue par Deniau qui se trouve privé de gagne-pain. Qualifié désormais de « vagabond », son parcours est obscur entre 1713 et 1719 : comme beaucoup, il gagne sans doute sa vie grâce à quelques micro-navigations entre les îles des Antilles, voire dans la contrebande. Il se fait dorénavant connaître sous le nom de « Durand » : il peut s’agir d’un surnom signalant son endurance et son obstination, ou d’un simple faux nom destiné à dissimuler sa véritable identité. Il épouse en effet une femme de Saint-Pierre (Martinique) dont il veut peut-être protéger la réputation.
Mais durant la nuit du 10 décembre 1719, Honoré Deniau renoue avec la prédation maritime : accompagné de trois ou quatre autres vagabonds, il vole un navire dans la rade de Saint-Pierre. Une quinzaine de jours plus tard, il est déjà à la tête d’un équipage de 40 hommes et se lance dans la piraterie. Toutefois, si son activité reste modeste, Deniau est un pirate avisé. Tout en poursuivant ses attaques, il se met au service du corsaire Rodriguez de Castro, de La Havane (Cuba) : ainsi commissionné par la couronne d’Espagne, Deniau peut espérer échapper à la corde en cas de capture. Il n’est effectivement pas rare de voir d’anciens flibustiers français (sans emploi après 1713) se mettre aux ordres des autorités de la Nouvelle-Espagne qui, contrairement à la France, continue d’engager des corsaires, notamment durant la guerre de la Quadruple-Alliance (1718-1720). Deniau s’en prend alors aux ennemis de l’Espagne : les navires français et britanniques.
Un pirate pour son propre compte
Après la fin de cette guerre, Deniau poursuit son activité de forban en étant plus ou moins cautionné par l’Espagne. Celle-ci encourage en effet les actes de piraterie à l’encontre des navires français accusés de contrebande. Deniau est alors le capitaine d’un petit navire de 80 tonneaux, nommé le Phénix, armé de 10 canons et de 10 pierriers, manœuvré par 90 pirates français, anglais ou espagnols, ce qui correspond au profil moyen des navires et équipages pirates. Peu scrupuleux, il n’hésite pas à maltraiter les équipages français qu’il attaque et à y recruter de force des marins. À partir de l’été 1722, Deniau semble pourtant se lasser de cette vie de pirate et fait savoir au lieutenant-général de la Martinique qu’il souhaite obtenir l’amnistie afin de retrouver son épouse. Le salut vient de l’amnistie générale proclamée par le roi le 28 septembre 1722 (et valable jusqu’en juin 1723) : Deniau obtient alors son pardon en avril 1723.
Après 20 ans d’aventures dans les îles, Honoré Deniau est de retour dans son village natal de Bert en 1726. Alors que la carrière de la majorité des pirates ne dépasse pas une année, la longévité de Deniau dans la prédation maritime est exceptionnelle : elle révèle surtout la capacité d’adaptation d’un marin qui sait tirer parti de son expérience de la violence pour profiter des bouleversements diplomatiques des Antilles.
Au final, son butin ne s’élève qu’à 19 onces d’or (un peu plus d’un demi-kilo), qu’il a dû partager avec ses hommes : comme pour la plupart des forbans, la piraterie n’amène pas la fortune mais permet seulement d’échapper un temps à la misère. À la fin de l’année 1727, à l’âge de 40 ans, Deniau reprend son métier de marin et s’embarque sur le Saint-Étienne, un navire qui part de Nantes pour aller à Saint-Domingue. Décédant au début de la traversée, Honoré Deniau ne revoit pas les Caraïbes.