Le bocage n’abrite pas une faune et une flore spécifiques très originales mais l’hétérogénéité de ses habitats et des ressources qui y sont associées en font un paysage complexe, justifiant tout son intérêt du point de vue de la biodiversité. En effet, prairies, cultures, bords de champs, haies et bosquets y sont fortement intriqués et offrent une complémentarité de ressources favorables à la diversité de la faune et de la flore. Le peuplement du bocage résulte ainsi de l’addition d’espèces provenant de différents milieux.
L’hétérogénéité des micro-conditions climatiques liées aux structures verticales, à la présence de fossés et de zones humides de bas-fonds, renforce encore cette richesse écologique. Enchâssant landes, forêts et zones humides, les espaces bocagers jouent le double rôle de zones de vie et de transition pour de nombreuses espèces.
Des espèces forestières côtoient les plantes cultivées
On reconnaît aux haies un rôle déterminant de support de biodiversité dans l’espace agricole. A l’image des lisières forestières, elle constitue l’habitat type de transition entre la forêt et les milieux ouverts. La diversité de la strate arborée et arbustive peut atteindre la trentaine d’espèces. Néanmoins, chênes, châtaigniers et hêtres sont les essences les plus communes des haies bretonnes. Elles sont accompagnées de noisetiers, de prunelliers et d’aubépines ou encore d’aulnes et de saules dans les secteurs les plus humides. Par le passé, l’orme était bien représenté dans certains secteurs, mais un champignon responsable de la graphiose a été la cause de sa quasi disparition. Le nombre d’espèces végétales herbacées dans les haies bocagères dépend étroitement de leur structure interne et de leurs modes de gestion. Leur largeur, la présence de fossés, la densité de la canopée, déterminent des conditions écologiques contrastées à l’origine de cette diversité floristique pouvant globalement varier de 10 à 50 espèces en Bretagne. L’émondage des arbres limite le cortège des espèces forestières sciaphiles au profit d’espèces de lisière et de milieux ouverts. Le piétinement par le bétail réduit parfois fortement la diversité de la strate herbacée des talus.
A côté de la haie, le cortège des plantes de la matrice cultivée varie grandement selon les conditions édaphiques et les pratiques agricoles. On relève ainsi, dans les prairies permanentes, des richesses floristiques allant de 10 à plus de 100 espèces bien que la production de biomasse soit généralement assurée par 3 ou 4 plantes dominantes. Les cultures et surtout les bords de champs cultivés vont, quant à eux, permettre l’installation des diverses espèces messicoles ou adventices des cultures.
Une faune et des services écosystémiques
Les ornithologues ont très tôt mis en évidence l’abondance de l’avifaune des bocages, relevant une richesse et des densités souvent supérieures à celle des landes ou des forêts bretonnes. Une diversité de 40 espèces pour 100 couples est ainsi observée dans les bocages bien conservés alors que les bocages ouverts déstructurés n’accueillent déjà plus que 23 espèces pour 35 couples. Si les espèces forestières comme la Sitelle torchepot ou le Grimpereau des jardins visitent volontiers les vieux arbres de la haie, l’Alouette des champs reste cantonnée aux espaces plus ouverts dominés par la prairie.
Jouant le rôle de corridors entre les petits bosquets, les haies sont des voies de circulation pour de nombreuses espèces de petits mammifères, de chauve-souris et de reptiles. Au cours des dernières décennies, le chevreuil s’est particulièrement bien adapté à ces ressources bocagères devenant parfois plus abondant dans ce paysage agricole que dans la forêt. De nombreux prédateurs généralistes ou spécialistes (buse, renard, belette, hermine) fréquentent aussi le bocage et y limitent les pullulations de rongeurs parfois si spectaculaires dans les zones d’openfield.
Les haies sont aussi le refuge de nombreuses espèces auxiliaires de la production agricole. Elles permettent, par exemple, la survie hivernale des bourdons et des abeilles sauvages, indispensables à la pollinisation, mais surtout des carabes, des araignées, des coccinelles, des syrphes et des espèces de parasitoïdes qui sont autant de prédateurs limitant les impacts des bioagresseurs comme les pucerons et les limaces.
Une biodiversité menacée
A l’origine, installées pour délimiter les parcelles, les haies sont apparues dès les années 60 comme une entrave au développement de l’agriculture mécanisée. De nombreuses opérations de remembrement vont précipiter leur arrachage, l’arasement des talus et le comblement des fossés. En Bretagne, on relevait encore un linéaire supérieur à 300 000 km de haies dans les années 60 alors qu’il n’est plus que de l’ordre de 100 000 km dans les années 2000. L’agrandissement des parcelles, la baisse du linéaire et de la connectivité du réseau de haies sont aujourd’hui pointées comme les causes principales de l’érosion de la diversité biologique des bocages. L’usage accru des pesticides, lié à l’intensification de l’agriculture, a grandement renforcé les déclins induits par ces changements d’usage des terres.
A l’initiative du Muséum national d’histoire naturelle, le Suivi temporel des oiseaux communs (STOC) mené depuis plus de 20 ans en France a clairement mis en évidence la raréfaction très marquée des oiseaux des paysages agricoles, tendance à laquelle les bocages n’échappent pas. On prend aujourd’hui conscience de l’importance écologique de ce paysage agricole pour garantir la qualité de l’eau et des sols, réguler le climat et surtout assurer la conservation de la biodiversité dite ordinaire.
Les espaces agricoles représentent jusqu’à 70% des territoires en Europe et la gestion de leur biodiversité est devenue aussi indispensable que celle des espaces protégés à haute valeur écologique comme certains milieux alpins, forêts ou zones humides … Récemment, il a été démontré que les bandes enherbées, installées d’abord pour la reconquête de la qualité de l’eau, renforçaient, pour de nombreuses espèces végétales et animales, les fonctions d’habitats et de voies de dispersion jouées par les haies. La conversion de certaines exploitations à l’agriculture biologique, le développement de nouvelles techniques culturales sans labours et les opérations de conservation de haies sont autant de pistes prometteuses pour le maintien de la biodiversité de ces espaces agricoles. Le programme « Breizh bocage », en soutenant la réimplantation de haies et la création de talus, est un dispositif qui permet de limiter l’érosion des sols, de prévenir les inondations, de protéger les troupeaux des excès climatiques, de renforcer la biodiversité des bords de champs et de stocker le carbone. En restaurant le maillage bocager, il vise à consolider la valeur identitaire et culturelle du bocage en Bretagne. Les enjeux liés à cet environnement particulier restent prégnants. Souhaitons que le génie écologique saura promouvoir un aménagement raisonné et rationnel de l’espace rural pour l’émergence d’un néo-bocage à fort potentiel biologique.