L’eau : une ressource malmenée par les hommes

Yves Lebahy">

De profonds déséquilibres

Activités humaines et urbanisation sont devenues sources de profonds déséquilibres en matière de gestion et qualité des eaux, perturbant l’équilibre naturel des eaux continentales et marines.

Problème majeur : la pollution des eaux continentales

Apparus au cours des années 1970, les déséquilibres en nitrates et phosphore des cours d’eau et des captages et leur teneur en produits phytosanitaires constituent la question la plus problématique et la plus connue.

Les excédents de nitrates dans l’eau et la présence des produits phytosanitaires (atrazine, simazine, diuron, lindane… pour ne citer que les plus courants) résultent essentiellement de l’intensification de l’activité agricole amorcée dans les années 1960 avec une fertilisation excessive des sols. Les marées vertes, sur les estrans, en sont le résultat le plus visible et le plus connu.

Après avoir connu des pics de teneur très élevés vers 1996/1999 (près de 40 mg/l ; jusqu’à 250 mg/l dans certains captages), la concentration moyenne annuelle des nitrates dans les cours d’eau bretons a diminué progressivement sous la pression des mouvements écologistes (rôle de l’association Eaux et Rivières de Bretagne) et des directives européennes qui en ont fixé le seuil à 50 puis 25 mg/l au robinet. La France a été condamnée par les instances européennes à de fortes amendes pour n’avoir pas respecté ces limitations, d’où une politique drastique de recouvrement de la qualité des eaux menée par la Région. La responsabilisation des agriculteurs (charges d’excédents structurels à l’hectare, effort de réduction des intrants) et l’application des normes par mélange des eaux (grâce à l’interconnexion des réseaux) permettent d’obtenir actuellement une eau potable dont la norme se situe sous la barre fatidique des 25 mg/l imposée par l’UE. Malgré cet effort de reconquête, le seuil reste encore bien élevé. À titre de comparaison, il ne doit pas dépasser 10 mg/l en Grande-Bretagne.

Les excédents de phosphate pour leur part, piégés dans les sédiments des cours d’eau, restent une bombe à retardement que des crues intenses libèrent lors des épisodes pluvieux de l’hiver. Ils sont eux aussi à l’origine des marées vertes et rendent les cours d’eau très vulnérables à l’eutrophisation. C’est particulièrement le cas sur l’Élorn, le Queffleuth ou le Gouëssant. Leur résorption est plus lente, même si elle est avérée (de 0,27 m/l en 1998 à 0,15 mg/l actuellement).

Tous ces déséquilibres de la qualité des eaux ont constitué et constituent encore un véritable problème de société en Bretagne. Des programmes d’action ont été menés par la Région. Trois programmes « Bretagne Eau Pure » se sont succédé de 1994 à 2006, suivis par le « Grand Projet 5 » (GP5) depuis 2007. Ce dernier élargit les enjeux et les thématiques d’action sur les bassins versants à d’autres paramètres que les seuls nitrates et pesticides. Il y ajoute la directive-cadre européenne sur l’eau : phosphore, matières organiques, qualité microbiologique des eaux côtières.

Des eaux maritimes bordières impactées également

Mais se trouvent ainsi posées les questions de l’urbanisation croissante et des modes de vie qui s’y rapportent. Car densification humaine et développement d’un habitat urbain ne sont pas sans conséquences sur le milieu. Si la question de l’accès à l’eau potable est majeure, celle du traitement des eaux usées l’est tout autant. Or, les concentrations humaines génèrent ces rejets de phosphates, d’hydrocarbures, d’antibiotiques et autres médicaments, de coliformes fécaux qui se mêlent aux « eaux grises ». Si la question est particulièrement délicate en milieu continental, elle l’est plus encore dès que ces eaux arrivent à la mer, perturbant alors les écosystèmes marins et, par voie de conséquence, les activités halieutiques.

Cette image satellite émanant des travaux de l’IFREMER souligne l’exceptionnelle richesse des eaux maritimes bordières de la Bretagne (comparées au littoral méditerranéen ou aquitain). Les booms planctoniques qu’elle révèle, soulignent le rôle particulièrement vital des petits fleuves côtiers qui émaillent son littoral, en matière d’apports de nutriments : silice, phosphates et nitrates prélevés dans les sols de ce massif ancien arrivent à la mer. Abondants et équilibrés, ces apports sont source d’une riche vie planctonique et fondent la richesse de la chaîne halieutique dans les eaux bordières de la région. © Y. Lebahy

La question de la qualité des eaux maritimes bordières

, moins médiatisée, devient encore plus problématique. Car c’est dans ces eaux que se reproduit l’essentiel des espèces marines (les 2/3 du gisement en protéines animales de la planète). Or la richesse halieutique des eaux bordières bretonnes résulte en grande partie de ce lessivage rapide des sols et des caractéristiques morphologiques (décrites précédemment) du Massif armoricain. Rien d’étonnant si la Bretagne est une région de pêche et de conchyliculture de premier ordre : les espèces prolifèrent dans ses eaux riches en plancton. Mais en même temps que ces nutriments nécessaires à l’éclosion de la vie marine y sont abondants, ils arrivent désormais de manière déséquilibrée, générant des booms planctoniques, et s’accompagnent des rejets désastreux de nos activités industrielles et urbaines (agriculture intensive, densification humaine, activités industrielles) : hydrocarbures, phosphates, produits phytosanitaires, molécules médicamenteuses. Or la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982) et la directive-cadre sur l’eau rendent responsable tout État de la qualité de ses eaux bordières. Désormais un effort est fait pour résoudre les pollutions nombreuses émanant du continent : réseaux de collectage des eaux usées, stations d’épuration, SPANC… Il apparaît clairement que de tels efforts, bien que nécessaires, restent notoirement insuffisants. Les conchyliculteurs, sentinelles de l’état des eaux maritimes bordières, dénoncent les déséquilibres qu’ils observent. Dans leurs bassins de production, ils constatent des taux de coliformes fécaux trop élevés, mettant en péril leur activité, encore ne s’appuient-ils que sur cette pollution visible. Un véritable travail de reconquête de la qualité des eaux continentales est à opérer si l’on veut que la ressource halieutique se maintienne dans nos mers bordières. Car, pour reprendre le cycle de l’eau, toute pollution en mer a son origine à terre. Il faut donc, pour recouvrer les équilibres de l’eau, reprendre tout son cycle de l’aval vers l’amont et remettre en cause toutes les activités humaines qui le perturbent. Là seulement un véritable développement soutenable pourra être enregistré.

Gérer de manière responsable la ressource en eau implique désormais de partir de l’aval, c’est-à-dire la mer, là où s’observent les déséquilibres, pour remonter tout le cycle de l’eau et lutter par les aménagements et des changements de comportements contre l’origine de ces déséquilibres. Cela implique un changement complet de représentation, où la mer bordière devient le révélateur central des perturbations que nous engendrons. Tout aménagement de notre espace terrestre, toute activité humaine devient donc tributaire de l’équilibre de ce milieu maritime bordier où l’eau joue un rôle essentiel.

BIBLIOGRAPHIE

Ollivro Jean, De la mer au meritoire. Faut-il aménager les Océans ?, Apogée, 2016, 180 p.

Illustrations complémentaires

Eau de baignade de qualité insuffisante

 

 

Localisation des communes ayant reçu momentanément une eau non-conforme pour les paramètres nitrates (ou pesticides pour la carte de 2012) par le biais de l'eau potable distribuée en Bretagne par les réseaux d'adduction publique. (Cliquez pour agrandir)

Sources : DREAL et bretagne-environnement.org

 

Prix moyen de l'eau avec assainissement par département en 2013