Les filles du coin !

Auteur : Soazig Le Hénanff / mars 2025

Près de 1 000 femmes travaillent au port de pêche entre 1965 et 1985. Elles sont « du coin » : des filles de la côte, « de l’autre côté de la rade », c’est-à-dire de Locmiquélic, Riantec, Plouhinec, Sainte-Hélène, Merlevenez ; mais aussi de Plœmeur, Guidel ; une petite distinction dans ce microcosme : « les filles de la ville » installées à Lorient ou Lanester. Dans les années 1970, l’origine géographique des ouvrières s’élargit au pays de Lorient : Gestel, Quéven jusqu’à Guilligomarc’h, et au monde, avec l’arrivée des réfugiées en provenance d’Asie (Vietnam, Cambodge). Elles se déplacent à pied, à vélo, en vélomoteur. De la rive gauche, elles empruntent la vedette, qu’elles nomment le « sabot », tant il prend l’eau. Bientôt le permis et la voiture pour certaines, gages autant d’ascension sociale et d’accès à la modernité que de liberté.

Ces femmes sont issues autant du monde maritime que des fermes alentours, beaucoup de milieux modestes, souvent pauvres, parfois « des femmes de misère ». Deux voire trois générations se côtoient. Celles qui ont souvent commencé leur activité professionnelle par des saisons dans les conserveries de poisson de la région, ont obtenu leur certificat d’études dans les années 1950. La génération suivante a quitté le lycée, parfois le collège sans diplôme et débute à 16, 17 ans. Les mères, un parent déjà sur place, ouvrent naturellement la porte d’un magasin de marée, de l’usine, du tri ou à la fabrique des filets de pêche.

Accessible sans qualification, ce travail partiel de nuit offre une rémunération élevée. Il est plutôt choisi que subi parce qu’il répond à des impératifs à la fois économiques et familiaux. Il constitue une solution adaptée aux contraintes maternelles et à la vie domestique. Il permet d’assurer un complément de salaire tout en laissant aux femmes la possibilité d’élever les enfants après l’école, dans un contexte où les services à l’enfance et le partage des tâches dans le couple sont quasi inexistants. « Je n’aurais pas pu travailler s’il n’y avait pas eu ce travail-là de nuit. J’avais personne pour garder les enfants et mon homme naviguait. C’était une facilité.»

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Auteur : Soazig Le Hénanff, « Les filles du coin ! », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 19/03/2025.

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Proposé par : Bretagne Culture Diversité