Bernard Lambert, à l’origine de la « nouvelle gauche paysanne » ?

Auteur : Jean-Philippe Martin / novembre 2016
Bernard Lambert a joué un rôle majeur dans l’affirmation d’un courant paysan contestataire appelé « nouvelle gauche paysanne » qui débouche sur la création de la Confédération paysanne en 1987.

Un enfant turbulent de la Jeunesse agricole catholique (JAC)

Fils de paysan, Bernard Lambert (Loire-Atlantique, 1931-1984) interrompt tôt ses études et travaille à la ferme de ses parents à partir de 17 ans. Sa formation, il la doit en grande partie à la JAC, dont il devient membre et où il prend des responsabilités régionales puis nationales et où il rencontre celle qui deviendra, en 1959, son épouse, Marie-Paule Cassagne. Ce mouvement affirme la fierté d’être un paysan qui modernise son exploitation, intègre celle-ci à l’économie générale et améliore ses conditions de vie. C’est au nom de ces principes que Bernard Lambert milite dans le syndicalisme agricole (Centre national des jeunes agriculteurs, CNJA, et Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, FNSEA) et est même élu député de la circonscription de Châteaubriant, entre 1958 et 1962.

Un syndicaliste combatif

Le 24 mai 1968, des paysans participent à une manifestation à Nantes et vont place Royale, rebaptisée « place du peuple ». A droite de la photo, B. Lambert (FDSEA 353, CHT, Nantes).

L’essentiel de son action est cependant d’ordre professionnel. A partir de 1962, il est très actif dans son département. Il y défend, avec d’autres, la nécessité d’un regroupement des syndicats agricoles de l’Ouest et devient secrétaire général de la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles de l’Ouest. Créée en novembre 1966, la Fédération regroupe plusieurs syndicats des régions Bretagne et Pays-de-Loire. Il s’agit de défendre plus efficacement les paysans de cette région. Peu à peu, B. Lambert et une partie des syndicalistes de l’Ouest critiquent les orientations des dirigeants de la FNSEA accusés de négliger les éleveurs petits et moyens, majoritaires dans cette région, et de favoriser les grands exploitants céréaliers et betteraviers du Bassin parisien. Les tensions s’accroissent car B. Lambert et ses amis sont séduits par le mouvement de Mai 68, alors que Michel Debatisse, dirigeant majeur du syndicalisme agricole national, voit en de Gaulle l’homme de la situation. Ces militants considèrent aussi qu’il est indispensable d’établir un solide rapport de forces en s’appuyant sur des mobilisations de masse afin que les paysans puissent obtenir satisfaction de leurs revendications. Ils sont favorables à des alliances avec d’autres catégories sociales, en particulier les ouvriers. Enfin, ils se rapprochent de paysans contestataires d’autres régions donnant naissance à la tendance Paysans-travailleurs.

 

Un paysan contestataire

Bernard Lambert entend donner à son combat une dimension politique, refuse le corporatisme et critique l’apolitisme proclamé de certains de ses adversaires proches de la droite. S’étant rapproché de la gauche au début des années 1960, il est membre du Parti socialiste unifié de 1966 à 1972. Il entend renouveler les idées de Marx pour analyser les évolutions de l’agriculture. Dans son livre Les paysans dans la lutte des classes (Seuil, 1970), il affirme qu’une partie des paysans modernisés sont en voie de prolétarisation. Du fait de leurs dettes et des évolutions de ce secteur, ils sont dépendants des grandes firmes et tendent à devenir des salariés à domicile. Avec nombre de syndicalistes de l’Ouest, il est de plus en plus critique vis-à-vis du syndicalisme agricole traditionnel mais ces opposants se divisent. Certains, dont lui, rompent et créent dans les années 1970 un mouvement indépendant, les Paysans travailleurs, qui défend un syndicalisme de travailleurs et refuse ce qu’il appelle le syndicalisme de chefs d’entreprise prôné, selon lui, par les dirigeants des syndicats majoritaires. D’autres tentent de constituer une tendance dans les syndicats traditionnels puis les quittent en 1982. Bernard Lambert plaide, au début des années 1980, pour un rapprochement de ces deux sensibilités. Par ailleurs, il joue un rôle précurseur dans le soutien à la lutte des paysans du Larzac puisqu’il est à l’origine de l’appel au premier grand rassemblement sur le plateau, en 1973. Il favorise ainsi l’élargissement géographique de la nouvelle gauche paysanne. Enfin, ses réflexions ont été déterminantes dans l’émergence d’un discours critique sur le productivisme en agriculture à partir de 1980. Ce qui contribue au renouvellement des thèmes de ce courant. Autant d’éléments qui en font, aux yeux de José Bové et de ses compagnons, un des pères spirituels de la Confédération paysanne.

Dans Les paysans dans la lutte des classes (Seuil, 1970), Bernard Lambert entend renouveler les analyses sur l’agriculture et évoque la « prolétarisation » d’agriculteurs modernisés mais endettés.
B. Lambert est, avec les Paysans-travailleurs, à l’initiative de la marche de soutien aux paysans du Larzac, à l’été 1973. Vent d’Ouest, n°39, mai 1973 (PT, CHT, Nantes).

 

Bernard Lambert, porte-parole du syndicat des Travailleurs Paysans - FR3 / INA

CITER CET ARTICLE

Auteur : Jean-Philippe Martin, « Bernard Lambert, à l’origine de la « nouvelle gauche paysanne » ? », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 4/11/2016.

Permalien: http://bcd.bzh/becedia/fr/bernard-lambert-a-l-origine-de-la-nouvelle-gauche-paysanne

Bibliographie

  • Bourrigaud René, Paysans de Loire-Atlantique. 15 itinéraires à travers le siècle, Nantes, Éditions du Centre d’histoire du travail, 2001.
  • Chavagne Yves, Bernard Lambert, 30 ans de combat paysan, Quimperlé, La Digitale, 1988.
  • Lambert Bernard, Les paysans dans la lutte des classes, Paris, Seuil, 1970.
  • Leclerc Henri et Lambert Bernard, Répression des luttes : des paysans parlent, Paris, Maspéro, 1972.
  • Martin Jean-Philippe, Histoire de la nouvelle gauche paysanne. Des contestations des années 1960 à la Confédération paysanne, Paris, La Découverte, 2005.
  • Martin Jean-Philippe, La Confédération paysanne aujourd’hui. Un syndicat face aux défis du XXIe siècle, Paris, L’Harmattan, 2011.
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