Les sources
La toponymie apporte assurément le contingent de noms le plus important et de loin. C’est aussi le moins fiable quant à l’authenticité de ces saints.
Les dédicaces des églises apportent également leur lot de noms. Elles ne coïncident pas forcément avec le nom de la paroisse et de son patron. Il arrive aussi que des saints plus prestigieux remplacent les anciens à l’origine obscure comme Ciferian remplacé à Paule par saint Symphorien, martyr à Autun au IIIe siècle.
Les plus prestigieux bénéficient de mentions dans les textes liturgiques (calendriers, bréviaires) et, surtout, ont le droit au récit de leur vie, les Vies de saints.
Le sens du mot « saint »
D’abord utilisé par les chrétiens pour se distinguer des païens, le titre de saint est honorifique et réservé au clergé à partir du IVe siècle lorsque la religion chrétienne s’impose dans l’Empire romain.
Deux siècles après, cette dénomination a disparu dans l’Occident, seul le pape conserve le titre de « saint-père ». Le clergé de l’île de Bretagne, principalement monastique et isolé du reste de la chrétienté, conserve cette habitude et l’importe en Armorique lors des migrations.
C’est à partir de 1234 que le pape se réserve le droit de canoniser. Cette décision ne s’applique pas aux nombreux saints bretons dont le culte a été établi bien antérieurement.
Des saints fondateurs aristocrates
En Armorique ce sont les martyrs (Donatien et Rogatien à Nantes), puis les évêques évangélisateurs (Melaine à Rennes, Felix à Nantes ou Paterne à Vannes) qui peuplent le ciel en saints locaux.
Dans l’île de Bretagne, saint Iltud, petit-fils de roi et disciple de saint Germain d’Auxerre, fonde le monastère de Llanilltud Fawr (Llantwit major, pays de Galles). Ce monastère est un foyer de christianisation important dont sont issus plusieurs saints armoricains comme saint Samson, fondateur du monastère de Dol, ou Paul Aurélien, issu d’une grande famille, les Aurelianii, à Saint-Pol-de-Léon.
Ces saints proches des princes bretons, quand ils ne sont pas rois eux-mêmes comme Judicaël, sont fondateurs d’abbayes (Gwenolé à Landévennec, Méen à Saint-Méen-le-Grand, Tugdual à Tréguier, Malo à Saint-Malo). Ils sont aussi parfois évêques (Corentin à Quimper). C’est parmi eux que se recrutent les sept saints fondateurs de la Bretagne visités par le Tro Breiz.
Saints locaux
Pour le plus grand nombre, leur culte ne dépasse guère le cadre d’une paroisse, au mieux quelques-unes car, fidèles à l’usage celtique, ils voyageaient facilement.
Ils sont indissociables du maillage de la péninsule par un réseau de paroisses (paroisses en « Plou- » du bas-latin plebs) encadrées par des chefs civils et religieux. Les noms de ces fondateurs ont été sanctifiés, mais il est probable que tous n’étaient pas membres du clergé (Fragan à Ploufragan). Au sein de ce maillage apparaissent des fondations strictement monastiques, simple ermitage ou abbaye, dont le nom, introduit par le préfixe lan-, garde la mémoire de son fondateur (ex. Lannédern Lan + Edern).
Il faut admettre aussi que bien des noms de saints locaux sont plus que suspects. Sainte Tréphine pourrait simplement désigner le point de rencontre de trois frontières (trifinium) et Cornely signaler la christianisation d’un antique dieu cornu.
Pour extirper le paganisme bien vivace au haut Moyen Âge, l’Église a recouru à la christianisation des lieux de culte, en associant fontaines, arbres et pierres au nom d’un saint. Ces lieux sont d’autant plus fréquentés que les reliques se font rares. Beaucoup de ces reliques ont été emportées par le clergé fuyant les attaques normandes au début du Xe siècle.
Saints historiques
Quelques saints parfaitement historiques méritent d’être signalés : Émilien, originaire de Vannes, qui préféra rester dans le pays de Bordeaux, Friard et Secondel à Besné, Conwoïon à Redon, Salomon, roi breton du IXe siècle sanctifié malgré l’assassinat de son cousin Erispoë, Maurice Duault (vers 1113-1191), appelé saint Maurice de Carnoët, non reconnu par l’Église, Jean Discalceat, mort à Quimper en 1349, Guillaume, évêque de Saint-Brieuc au XIIIe siècle. Ce dernier est le premier saint breton canonisé par Rome en 1247, suivi d’Yves Hélory de Kermartin un siècle plus tard, en 1347.
Plus près de nous, Françoise d’Amboise est béatifiée en 1866, Charles de Blois en 1904, Louis-Marie Grignon de Montfort canonisé en 1947 et Jeanne Jugan en 2009.
Saints objets d’enjeux politiques
Au bas Moyen Âge, la haute aristocratie bretonne s’approprie les légendes des saints leur permettant d’enraciner leur lignée dans les origines de la monarchie bretonne. Ainsi les Rohans revendiquent Mériadec, quand Charles de Blois puis les Montforts prennent Judicaël et Salomon pour modèles.
De son côté, l’Église souhaite contrôler le culte des saints, qui occupe depuis toujours une place essentielle dans la vie religieuse des fidèles (pardons). Tout en le confirmant (concile de Trente), la Réforme entend remplacer les pratiques superstitieuses auprès des saints guérisseurs et les débordements festifs des pardons par une foi plus intériorisée.
Les évêques bretons favorisent le culte de quelques saints bretons mais surtout celui de saints universels. Des pardons mieux encadrés par l’Église se développent comme celui de Sainte-Anne-d’Auray. Leur fréquentation recule au XVIIIe siècle, mais uniquement dans la partie orientale de la Haute-Bretagne.
Renouveau dans la seconde moitié du XIXe siècle
Face au recul de la pratique religieuse et à l’anticléricalisme républicain, l’Église bretonne entend revivifier la foi en s’appuyant sur l’affection de la population pour ses saints locaux. Le rétablissement du culte de saint Conwoïon à Redon en 1868 ou de saint Corentin à Quimper en 1886 en est une bonne illustration. Les vitraux des églises nouvellement construites leurs font la part belle. Les pardons connaissent un nouvel élan (Troménie à Locronan, Le Folgoët, Sainte-Anne-la-Palud). Des reliquaires sont commandés aux artistes (saint Gonéry à Plougrescant, 1883, saint Paul à Saint-Pol-de-Léon, 1897). Les saints bretons sont un modèle de foi et leurs Vies, nous dit Dom Plaine, « l’une des sources les plus abondantes et les plus fiables de la science historique ». On est alors en plein renouveau de l’intérêt pour la langue et la culture bretonnes (Barzaz-Breiz) et pour l’histoire (La Borderie).
La critique historique a fait la part de l’intérêt des Vies des saints, reste la foi qui s’exprime aujourd’hui, notamment par le retour du Tro Breiz et la création de la Vallée des Saints.