Une révolution culturelle
Le tourisme est apparu au XVIIIe siècle en Angleterre. La jeunesse aristocratique se formait au cours d’un circuit de découverte des lieux de pouvoir et de culture passant par l’Allemagne, la Suisse, l’Italie et la France. C’est au français qu’ils avaient emprunté le mot tour pour désigner le voyage et forger bientôt le terme tourism qui allait définitivement coller à une activité toute nouvelle en glissant de son caractère éducatif à une vocation tout autant sanitaire que distractive. En effet, la mode de l’hydrothérapie marine lancée dès 1730 par Richard Russell conduit des Anglais à venir se baigner et parfois s’établir en Bretagne à partir de 1815, quand la paix est assurée avec leurs voisins.
On observe dans la première moitié du XIXe siècle une révolution culturelle qui consiste en quelque sorte à apprivoiser le rivage, à passer du goût des rochers à celui du sable et de l’eau douce à l’eau salée. Cette révolution, analysée en 1988 par l’historien Alain Corbin dans Le territoire du vide, est à l’origine de tout ce qui va rapidement devenir le tourisme balnéaire.
Dinard et ses satellites au nord de la Bretagne, Le Croisic et ses satellites de la presqu’île de Guérande au sud sont les pôles de la planète des vacances en Bretagne. Les riches oisifs éprouvent rapidement un besoin de loisirs complémentaires car le bain proprement dit est on ne peut plus rapide. Les établissements qui proposent des bains d’eau de mer chauds deviennent rapidement des casinos et le cœur de la vie mondaine de la bonne société. La station balnéaire naît ainsi.
Une révolution du transport
Dès les années 1830, les pionniers du tourisme, qu’ils soient anglais ou français, découvrent la Bretagne en marchant ou en combinant de multiples moyens de transport. Certains s’émerveillent d’un univers fascinant tandis que d’autres ne cherchent qu’à confirmer leurs préjugés. Tous ou presque passent par Carnac, les grottes de Crozon, le calvaire de Plougastel, l’arsenal de Brest et Saint-Malo. Tous ou presque suivent un pardon, observent la diversité des costumes, découvrent un marché, s’interrogent devant des « monuments druidiques ». Petit à petit se dessine une Bretagne que les textes, les gravures, la photographie vont figer pour près de deux siècles au mépris des évolutions, des diversités et de la réalité.
Contrairement à un Mérimée qui vient faire un inventaire des monuments à protéger ou à un Stendhal qui doit produire un livre, Gérard de Nerval, Fortuné du Boisgobey, Francisque Sarcey, Edmond About et bien d’autres partent à l’aventure. Le train va permettre aux randonneurs d’atteindre le cœur de la région « rapidement » (il faudra encore 15 heures pour aller de Paris à Lannion en 1888) : Nantes a été reliée à Paris en 1851 ; Rennes accueille son premier train en 1857, Quimper en 1862 et Brest en 1865. Bientôt, des tramways et les lignes secondaires du Réseau breton ont irrigué toute la région jusqu’à ce que l’autocar et l’automobile le mettent à mal. Même si le confort est relatif, le train va drainer de plus en plus de monde vers les stations littorales.
Une révolution architecturale
Si l’on exclut les demeures anciennes, vieilles fermes aménagées, maisons de pêcheurs ou manoirs familiaux, la maison de vacances reste la villa – que certains bretonnisent du nom de « kastel » (pour kastell) – telle qu’elle est apparue avec les premières stations balnéaires puis telle qu’elle s’est bâtie avec ses excès et sa belle liberté. Une liberté associée longtemps à l’absence de toute règle d’urbanisme : l’État si présent dans la vie des Français était, lui aussi, en vacances au bord de la mer.
Le style balnéaire n’a jamais vraiment cherché à se définir tant il s’est nourri de multiples influences. Au fil des plages et de leurs grandes périodes de croissance, on distinguera une inspiration géographique (italienne, basque, normande, anglaise, voire bretonne…) ou historique (gothique, renaissance, néoclassique, Arts déco). Tous les matériaux (bois, béton, céramique, granit, brique, etc.) sont mis en œuvre pour accentuer l’originalité, donner de la couleur, accentuer un style.
Quelques grandes caractéristiques peuvent apparaître dans les choix architecturaux : l’ouverture vers la mer rompt avec les alignements des maisons traditionnelles cherchant l’abri et le soleil plutôt que le « panorama ». Les villas multiplient les fenêtres mais aussi les balcons, les terrasses, les bow-windows et les loggias avec un goût prononcé pour l’asymétrie, le pignon avancé, les toits débordants et les décrochements, comme pour mieux se distinguer des maisons traditionnelles qui, elles, multipliaient les parallélismes. Les tourelles, les cheminées ornées, les faîtages décoratifs et les carrelages polychromes permettent de personnaliser chaque construction. La plupart des villas sont construites sur cave de telle sorte qu’on peut y ranger tout l’attirail indispensable à la vie au bord de la mer : matériel de pêche, parasols, petits bateaux, vélos… On n’oubliera pas les jardins plus ou moins vastes où les plantes exotiques sont privilégiées et qui peuvent prendre une grande importance paysagère comme à Dinard.