« Il n’en est pas de la Bretagne comme des provinces dont on vient de parler. Autant les autres sont pauvres en mines, autant celle-ci en abonde ; et l’on ne craint pas d’avancer que c’est la Province de France et peut-être d’Europe la plus riche en mines de toutes espèces. » Cette phrase, énoncée en 1779 par l’inspecteur des mines Monnet, a de quoi surprendre : la Bretagne est rarement dépeinte comme une région industrielle, et certainement pas minière. Pourtant, aux XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, elle recèle des dépôts miniers, en particulier de plomb argentifère, qui en font pratiquement la première mine de France : le plus important est sans conteste le complexe minier situé sur l’actuelle commune de Poullaouen et à la frontière entre celles de Locmaria-Berrien et Huelgoat, dans le centre-Finistère.
Exploité dès l’Antiquité, il a été ensuite plus ou moins oublié, jusqu’à la fondation de la Compagnie des Mines de Basse-Bretagne en 1732. Après un lent démarrage, l’exploitation prend de l’envergure à partir de la moitié du XVIIIᵉ siècle, grâce notamment à la redécouverte des mines du Huelgoat et à la modernisation technique. Cet essor est promu par la direction locale, souvent allemande. En effet, les Allemands font figure d’experts dans ce domaine, du fait de la présence des riches mines du Harz, de Saxe et de Bohème sur leur territoire. Entre 1760 et 1790, l’exploitation de la galène (plomb argentifère) est à son apogée sur l’ensemble du double site Poullaouen-Huelgoat avec près de 20 000 tonnes de plomb (principalement pour la couverture ou la cuisine) et 50 tonnes d’argent produites en 30 ans.
Pour assurer une telle production, la Compagnie emploie, à la veille de la Révolution, près de 1 500 travailleurs de toutes catégories, ce qui en fait le second site industriel de Bretagne, après les arsenaux de Brest, et le second site minier de France, après celui d’Anzin (Nord-Pas-de-Calais actuel). Les ingénieurs et chefs de postes viennent souvent d’autres provinces minières de France ou d’Allemagne, tandis que certains ouvriers qualifiés et la totalité des manœuvres (près de 90 % des employés) sont des paysans bas-bretons. Pour ces derniers, la mine représente avant tout un complément de revenus à une production agricole trop modeste, mais leurs salaires sont bas : en moyenne 13 livres tournois par mois (ce qui équivaut à environ 1,5 kilogramme de pain par jour), tandis que les cadres gagnent trois fois plus, et les ingénieurs-directeurs jusqu’à vingt fois plus. Les actionnaires – la plus haute bourgeoisie et aristocratie parisienne – font fortune : la valeur de leurs actions est multipliée par 30 dans la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle.
Des conditions de travail éprouvantes
Les postes de travail sont aussi diversifiés que les opérations nécessaires à l’extraction et au traitement du minerai. Les mineurs travaillent dans des puits allant jusqu’à 300 mètres de profondeur. Ils utilisent des piques et des pointerolles, mais l’essentiel de l’abattage se fait à la poudre à canon, employée dès le début de l’exploitation. Malgré les risques d’éboulement ou d’explosion précoce de la charge de poudre, la principale menace reste les inondations, qui peuvent être rapides et meurtrières dans certains cas, mais plus habituellement lentes et progressives. Pour pallier ce risque, de complexes réseaux hydrauliques sont mis en place : les rivières en surface sont déviées (sur plus de 30 kilomètres à Poullaouen) afin d’actionner des roues à aubes en séries, qui elles-mêmes entraînent des tirants plongeants au plus profond des mines et activant les pompes. Cet ensemble technique est très coûteux en entretien. On tente dès lors de le remplacer. À Poullaouen, une machine à vapeur est installée en 1747, avec succès mais sans rentabilité, et à Huelgoat, une machine à colonnes d’eau fonctionne à partir de 1831.
Le minerai est remonté à la surface par des manèges à chevaux, puis trié et lavé par des femmes et des enfants. Ces derniers passent les roches sous de puissants jets d’eau afin d’en séparer la boue, puis les trient selon leur richesse apparente ou la catégorie de minerai. Le minerai est ensuite pulvérisé au bocard ou écrasé avec des marteaux de six à neuf kilogrammes par des ouvrières appelées « casseuses ». Enfin, les grandes quantités de gravillons et limon sont nettoyées par les « laveuses » sur de grandes tables parcourues d’un courant d’eau qui fait la séparation entre le métal et les matières sans valeur. Le minerai lavé est ensuite envoyé aux fonderies de Poullaouen, où différents types de fourneaux, activés par des hommes travaillant dans des températures extrêmes, permettent de griller le soufre et les dernières matières inutiles, fondre le plomb et séparer l’argent. Les lingots de plomb ainsi obtenus sont envoyés par bateau aux lamineries de Normandie pour en faire tôles, plaques et autres ustensiles de cuisine, tandis que l’argent est porté en diligence escortée aux Hôtels des Monnaies. Cet ensemble de techniques reste à peu près stable jusqu’à la fin de l’exploitation, et un observateur du XIXᵉ siècle (probablement payé par la Compagnie) déclare que « les difficultés qu’il faut vaincre pour atteindre le minerai, les opérations si variées, les soins si minutieux qui sont nécessaires pour transformer ce dur rocher, où le métal est si rare, et ces pierres boueuses en pur argent, en blanche céruse [font] de ces monceaux de pierres, de sables, de scories stériles un des monuments les plus remarquables de la perspicacité, du courage et de la persévérance des hommes ».
Un fleuron industriel qui périclite
Précisément, ces « monuments » de sables et de scories sont à peu près tout ce qui reste aujourd’hui des mines de Huelgoat-Poullaouen. Après un pic de production à la fin du XVIIIᵉ siècle, le complexe minier et métallurgique peine à se moderniser, et perd lentement sa marge de rentabilité au XIXᵉ siècle. Malgré l’installation de la machine à colonnes d’eau remarquable à Huelgoat, l’ensemble technique, fondé sur la force hydraulique et le bois, ne parvient pas à s’adapter à la modernisation de la machine à vapeur et de l’acier, avant tout par manque de charbon rentable à proximité. Le manque chronique d’investissement, que les actionnaires préfèrent allouer aux nouveaux bassins miniers du nord et du centre de la France (plus rentables), la baisse des prix du plomb et de l’argent, et finalement une querelle dans la succession du dernier actionnaire majoritaire, ont raison du complexe minier de Huelgoat-Poullaouen.
Alors que le pays entre dans une phase d’accélération de son industrialisation, son fleuron historique des mines de Basse-Bretagne est démantelé en 1866. Les mines sont abandonnées, les puits ennoyés et les bâtisses vendues comme matériaux de construction, ce qui explique qu’il ne reste rien aujourd’hui des longs ateliers de lavage, de la grande halle des fonderies, « plus bel établissement métallurgique de France » selon un observateur de 1806, ni de l’impressionnant Château des Mines, résidence de la direction locale.
Certains puits sont rouverts dans les années 1920, mais avec beaucoup moins d’ampleur et pour quelques années à peine : d’autres mines de galène bretonne prédominent déjà, à Pont-Péan, Châtelaudren ou Vieux-Vy-sur-Couesnon. Aujourd’hui, les amoncellements de sables et roches stériles ainsi que les anciens canaux et entrées de mines de Huelgoat-Poullaouen n’auraient pas beaucoup de sens sans le travail de valorisation réalisé par l’Association de sauvegarde de l’ancienne mine qui, à travers sa Maison de la Mine de Locmaria-Berrien et ses visites guidées estivales, veille à transmettre la mémoire de ce qui fut autrefois l’une des premières mines de France.