La longue histoire des landes
Il y a 10 000 ans, il n’y avait pas une grande forêt primitive couvrant toute la Bretagne mais une mosaïque de milieux où les incendies et les grands herbivores jouaient un rôle important. Sur les pentes et les sols les plus pauvres, s’installaient des lambeaux de landes. En défrichant des espaces forestiers, les premiers agriculteurs bénéficiaient pendant quelques années d’un humus très favorable. Les terrains appauvris qu’ils abandonnaient ensuite au pâturage étaient favorables à l’implantation des landes.
C’est au Moyen Âge que les défrichages systématiques ont construit progressivement le paysage qui marque encore une grande partie de la Bretagne : des landes exploitées en commun sur les terres les plus pauvres et du bocage sur les meilleures terres autour des villages ou des fermes isolées.
La lande était une richesse
À leur apogée, à la fin du XVIIIe siècle, les landes couvraient un million d’hectares et jouaient un rôle capital dans le fonctionnement des fermes. Le grand géographe Camille Vallaux (1870-1945) affirme en 1907 que « les landes ne sont pas hors de l’exploitation du sol, telle que le Bas-Breton la comprend, elles sont plutôt à la base même de cette exploitation ». Jusqu’à la dernière guerre en fait, on a considéré en Basse-Bretagne qu’une « bonne ferme devait disposer de landes ».
Les landes rendent en effet des services qui ne sont pratiquement pas soumis aux aléas climatiques et qui, associés à la culture du blé noir et à l’utilisation des prairies, assuraient bon an mal an, l’équilibre des exploitations. En effet, les landes, tant sur le littoral qu’à l’intérieur, fournissaient, principalement à la belle saison, des espaces de pâturage importants pour les vaches, les chevaux et les moutons.
Fauchées (à la faucille ou avec une «étrèpe»), elles constituaient la base de la litière dans les étables et donc des fumiers utilisés sur les terres labourables. On mettait aussi cette litière dans les cours de fermes et les chemins creux où elle se mélangeait à la boue pendant l’hiver et pouvait être récupérée au printemps pour fertiliser les champs. La plante reine des landes était l’ajonc. Les pousses tendres étaient coupées pour être pilées et données à manger aux chevaux. À raison de 30 kg par jour, c’était un apport essentiel expliquant pour une bonne part la réputation des chevaux bretons.
Rappelons aussi que les landes et leurs abords offraient bien d’autres plantes (fougère, molinie, genêt, bourdaine, etc.) pour de multiples usages (couverture, vannerie, litière, etc.). Chasseurs et braconniers traquaient dans la lande des gibiers variés et le miel de bruyère remplissait les ruches.
Les mottes avaient de multiples usages
Certaines landes se prêtaient à l’étrépage (le même terme étant utilisé pour la fauche en Haute-Bretagne). Le travail consistait, une fois la lande fauchée, à enlever par plaques la couche superficielle du sol. On utilisait une sorte de large tranche (pelle) arrondie à manche court, la « marre ».
Les mottes étaient brûlées en particulier pour des cuissons lentes à l’étouffée – le ragoût de mouton d’Ouessant en étant l’exemple le plus connu. Les forgerons en avaient aussi l’usage. Les mottes ont même servi à construire des habitations pour les plus pauvres.
Paradoxalement, les paysans bretons cultivaient aussi les landes, espace pourtant réputé « inculte ». L’écobuage consistait à arracher les mottes, à les mettre en tas et à les brûler sur place pour apporter de la potasse au sol et pratiquer une culture de seigle ou de blé noir pendant trois ou quatre ans. Un talus provisoire empêchait le bétail de pénétrer dans la parcelle. C’était généralement un grand chantier collectif qui prenait la forme d’un concours doté de prix. On ne pouvait pratiquer l’écobuage que tous les trente ans sur une même parcelle. Cette activité, encore bien vivante en Basse-Bretagne au XIXe siècle, a rapidement disparu dans le premier quart du XXe siècle.
Aujourd’hui, les landes peuvent encore produire de la litière pour fabriquer des fumiers. Elles contribuent aussi à l’épuration des eaux et maintiennent une faune originale à l’abri de tous les traitements chimiques ; enfin, elles offrent d’exceptionnels espaces pour des loisirs de pleine nature.