Le récit de ce combat est si célèbre aujourd’hui que, il y a une dizaine d’années, des industriels parmi les plus influents de Bretagne et de France (Pinault, Glon, Bolloré, Guillemot, Rouiller, Le Duff, Rocher, Verlingue) décidèrent de donner à leur club de réflexion le nom de club des Trente, en souvenir de ce combat mémorable.
Très vite, ce duel devint un instrument de propagande. Si les Plantagenêts favorisèrent, pour asseoir leur influence, le mythe arthurien, Jeanne de Penthièvre et ses soutiens – les rois de France et les plus grands féodaux de Bretagne et de France – firent le nécessaire pour faire connaître ce combat, d’autant que les vainqueurs étaient tous membres de la noblesse bretonne, en pleine restructuration.
Pour Jeanne et pour l’aristocratie, il s’agissait de montrer que ces hommes d’armes pouvaient parvenir à l’emporter, et cela de manière chevaleresque. Jehan Froissart, le célèbre chroniqueur (mort en 1404), se chargea du travail. Il lui fallait répondre à son patron, Guy de Blois, neveu par alliance de Jeanne, mais aussi à ses lecteurs, membres de l’aristocratie militaire.
Pro-Français, il se devait de montrer que la chevalerie n’était pas en cause dans les défaites écrasantes qu’elle avait subies – pour les Bretons, à La Roche-Derrien, au Restilou, à Mauron, à Auray, et pour les Français, à Crécy et à Poitiers – mais que la faute en revenait à l’attitude peu chevaleresque des Anglais. Nous touchons là bien sûr au début des nationalismes car, ne l’oublions pas, la guerre de Cent Ans fut marquée par la haine de l’Anglais de la part des Français et des Bretons, et par la détestation du Français et la méfiance envers les Bretons de la part des Anglais. La propagande de la maison de Penthièvre aurait pu s’arrêter là si la population bretonne, qui ne supportait plus les rapines anglaises pendant la guerre, n’avait transformé en chant populaire le récit de ce combat. À la fin du XIXe siècle, Arthur de La Borderie, noble et historien breton, qui haïssait les Anglais au point de travestir l’Histoire, ne pouvait que mettre en valeur ce combat. Il fut suivi par sir Arthur Conan Doyle, Écossais, dont l’œuvre eut aussi pour but de promouvoir les Écossais et beaucoup moins… les Anglais.