1840-1940 Bretagne – Pays de Galles

Une aventure maritime et économique oubliée
Auteur : Hubert Chémereau / juillet 2018
Quand on évoque les relations de la Bretagne avec le pays de Galles on pense de suite aux saints fondateurs gallois venus en terre d’Armorique au début du Moyen Âge. On oublie qu’au milieu du XIXe siècle les deux pays ont connu une formidable renaissance de leurs relations. À partir des années 1840, l’exploitation à grande échelle du bassin minier gallois va relancer les échanges entre le pays de Galles et la péninsule bretonne.

Le charbon gallois, « pain de l’industrie bretonne », crée un cycle vertueux

Alors que l’exploitation du charbon bouleverse le sud gallois, le sud de la Bretagne connaît un essor industriel grâce à la création des conserveries, alimentées en fer blanc par Hennebont et Basse-Indre, et au formidable développement de la Basse-Loire, avec sa « rue d’usines » de Nantes à Saint-Nazaire. L’importation à grande échelle du charbon gallois favorise le développement de cette industrie bretonne.

La place des nombreux ports bretons dans les exportations du charbon à Cardiff avec Saint-Nazaire comme premier port d'exportation de charbon pour Cardiff. La place de Malte est liée à l’amirauté britannique qui utilise cette île pour ravitailler sa flotte en Méditerranée. La place du Havre est très liée au fait qu'elle est à partir des années 1870 la tête de ligne de la  Compagnie Générale Transatlantique. Dans les années 1860 c'était Saint-Nazaire qui réceptionnait le charbon pour la CGT - Pontypridd Museum and Tourist Information Centre

Cette source énergétique, bon marché et facile d’approvisionnement par mer, favorise également l’émergence d’une sidérurgie bretonne dynamique, de Basse-Indre à Hennebont. En 1879, c’est à Trignac qu’est créée pour la première fois en Europe une sidérurgie sur l’eau : une unité de production d’acier « hors sol » alimentée en matières premières par mer. Jusqu’alors on installait les usines métallurgiques sur le lieu d’extraction des minerais et non sur le lieu de consommation de l’acier comme ici, pour approvisionner la construction navale nazairienne et nantaise.

L’importation de houille galloise, le fameux « Cardiff », est dynamisée par le besoin d’alimenter les usines en charbon de qualité pour la production de gaz de ville (éclairage), et dans son sillage pour l’électrification, avec la création de centrales électriques à travers toute la Bretagne. Il alimente aussi les locomotives du réseau ferré qui se met en place et la navigation à vapeur.

L’usine à gaz et la nouvelle station électrique entre le Légué et le pont de Souzain en 1920. Le charbon gallois arrive au Légué par la mer - Cartolis

Les échanges commerciaux avec le pays de Galles : une opportunité pour le monde maritime breton

Si avec la révolution industrielle le cabotage breton connaît un formidable développement, les échanges avec les ports gallois vont être le moteur principal de ce dynamisme. Saint-Nazaire, grand importateur de houille cambrienne depuis les années 1850, devient, en 1873, le premier débouché en Europe pour Cardiff, alors le plus grand port charbonnier du monde. Les autres grands ports bretons suivent le mouvement, à commencer par Nantes suivi par Lorient, Brest et Saint-Malo. C’est aussi tout le réseau des petits ports bretons, de la côte nord à Pornic, qui se lance dans la « Route du charbon » et va assurer pour des décennies la prospérité du cabotage breton. Marins et armateurs bretons saisissent l’opportunité, ce qui donne lieu à un extraordinaire développement de la flotte de caboteurs à voiles.

Le port de Cardiff, plus grand port charbonnier au monde (photo des années 1920). Ces docks étaient alors en pleine effervescence sociale et politique - Pontypridd Museum and Tourist Information Centre

Poteaux de mines et primeurs bretonnes contre du « Cardiff »

Le voyage est rentable à condition de charger du fret dans les deux sens. À partir des années 1820, les Johnnies avaient ré-ouvert les voies maritimes vers les îles Britanniques avec le célèbre oignon rose de Roscoff. Le développement du commerce du charbon favorise l’exportation des primeurs de la ceinture dorée (pommes de terre et choux-fleurs). L’industrie minière galloise, qui importe de grandes quantités de poteaux de mines, trouve en Bretagne l’un de ses principaux fournisseurs. Des milliers d’hectares de bois de pins sont plantés sur les terres les plus ingrates pour répondre à la demande. Les Landes de Lanvaux en sont l’exemple emblématique. Comme le rappela en 2008, à Trignac, l’écrivain Gareth Miles : « les galeries des mines galloises étaient soutenues par la forêt bretonne ! » Le minerai de fer (pays de Châteaubriant et angevin) et le kaolin de Cornouaille servent aussi de fret à partir des années 1910.

Roscoff (Finistère). Embarquement des oignons pour l’Angleterre. Ed. Neurdein et Cie - Cartolis

Exploitation en forêt de Florange. Ed. L’Hoste A.<br><br>La plantation de bois de pins a fait naître la forêt. Celle-ci fournissait quantité de poteaux destinés à étayer les galeries de mines. Ils étaient acheminés par rail (voie Auray-Saint-Brieuc) jusqu’à Hennebont ou Lorient - Cartolis

Poteaux de mine en attente de chargement sur le port de Redon. Visuel tiré de l’exposition 2018 du Musée de la batellerie. La présence de douaniers, reconnaissables à leurs vestes à deux rangées de boutons, est liée au trafic du port qui, à cette époque, se faisait beaucoup avec l’étranger, en particulier avec l’Angleterre et plus précisément avec le pays de Galles d’où arrivait le charbon (10144 tonnes arrivées à bord de quarante et un bateaux en 1901) et vers lequel partaient des poteaux de mine, bien visibles sur la droite (trente-huit chargements de poteaux vers Cardiff, Newport, Swansea représentants 7740 tonnes) - Musée de la batellerie

Mine de Mountaine Ash réputée pour la qualité de son charbon en particulier pour les navires « steam coal » avec en premier plan des tas de poteaux de mine - Pontypridd Museum and Tourist Information Centre

Extrait d’un PV de conseil municipal de 1911. Une ligne de chemin de fer reliait directement Châteaubriant à Saint-Nazaire depuis 1885 - Archives municipales de Saint-Nazaire

Le protectionnisme des années 1930 sonne le glas des échanges britto-gallois

Un premier coup sera porté aux échanges par la guerre maritime menée au cours de la Première Guerre mondiale. Avec la grande dépression de 1929, toute une flotte de cargos reste à quai. Cette situation va empirer avec les mesures protectionnistes prises par le gouvernement français sous l’influence du lobby des propriétaires des mines du nord de la France. Cela aura comme conséquence directe de provoquer en 1932 la fermeture des Forges de Trignac et l’effondrement du trafic portuaire. Les poteaux de mines de Bretagne ne trouvent plus preneur. Les Britanniques se détournent des primeurs bretonnes au profit, en particulier, de la production portugaise. Des deux côtés de la mer celtique, de nombreux marins sont touchés par la faillite de compagnies de navigation. Même si le trafic remonte à partir de 1935, c’est la fin d’une belle histoire maritime à laquelle l’invasion de 1940 donne le coup de grâce.

Le dundée Dixit au bassin de Cardiff, il a déchargé son chargement de poteaux de mine ou son lest et se prépare à passer sous le spout pour charger du charbon. En novembre 1937 il livre aussi du charbon à Roscoff. Le cabotage continue mais la Bretagne ne voit pas se développer des armements importants et la flotte vieillit - Photo tirée du livre Ar Vag voiles au travail en Bretagne tome II les caboteurs, Éditions de l’estran

En mémoire de Gwyn Griffiths, journaliste et écrivain, artisan du rapprochement entre la Bretagne et le pays de Galles, décédé le 29 avril 2018

CITER CET ARTICLE

Auteur : Hubert Chémereau, « 1840-1940 Bretagne – Pays de Galles », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 20/07/2018.

Permalien: https://bcd.bzh/becedia/fr/1840-1940-bretagne-pays-de-galles

Bibliographie

  • Chémereau Hubert, « Quand le port de Saint-Nazaire vivait à l’heure galloise », Place Publique, Janvier 2011.
  • Pontypridd Museum, « Welsh coal – Breton steel », catalogue quadrilingue, 2010.
  • Chémereau Hubert, Les marins briérons, ArMen, n° 246, Décembre 2012.
  • Chémereau Hubert, « John Nixon, un ingénieur anglais à Nantes en 1841 », Place Publique, Juillet 2013.
  • Chémereau Hubert, « John Nixon, pionnier du charbon gallois en Bretagne », ArMen, Septembre 2011.
  • Lacroix Louis, Les écraseurs de crabes, les derniers voiliers caboteurs, Nantes, Éditions aux portes du large, 1947.

En lien

 

 

Proposé par : Bretagne Culture Diversité