La revelatio – révélation – ou l’invention de l’origine du Mont
La révélation de l’église de Saint-Michel relate qu’en 708 l’évêque d’Avranches, Aubert, a vu en songe l’archange saint Michel lui demandant d’ériger un monastère à l’emplacement de l’actuelle abbaye. Ce récit, ainsi que d’autres textes, font l’objet d’interprétations divergentes. Ils seraient le reflet d’une communauté de chanoines ayant perduré jusqu’en 966. Pour d’autres, ils témoigneraient de l’introduction de moines bénédictins vers 920, qui auraient cohabité avec des chanoines jusqu’au Xe siècle.
Le Mont, un monastère franc tombant sous l’emprise des princes bretons
En 851, Erispoé, prince des Bretons, agrandit son royaume des territoires nantais et rennais, ce qui met le Mont en position limitrophe de la Bretagne. Son successeur, Salomon, prend possession de l’Avranchin au plus tard en 867. Dès lors, le Mont se trouve en territoire breton et sous l’emprise de ses dirigeants.
Le rayonnement du Mont au IXe siècle
À cette époque, le Mont est un monastère et un lieu de pèlerinage réputé. Rabert sic du pays de Melun s’y déplace en 868 dans le cadre d’un pèlerinage pénitentiel, et Bernard, après avoir été à Rome et à Jérusalem, termine son périple en 870 au Mont qui est alors dirigé par un abbé breton du nom de Phinimontius. En outre, le texte de la vie de saint Maur précise que l’un des membres de l’abbaye avait été en Italie en 861 pour se procurer les manuscrits de plusieurs vies de saints. Le Mont est donc aussi un centre intellectuel.
Un monastère résistant aux Scandinaves ?
Vers la fin du IXe siècle et au début du Xe siècle, les moines quittent massivement leurs abbayes car le nord-ouest de la France est menacé par les Scandinaves. Il semble cependant que les moines du Mont n’aient pas quitté leur monastère. Peut-être servait-il déjà de lieu fortifié ou était-il protégé car relevant de l’aire d’influence du comte de Rennes, Bérenger, lequel négocia une alliance avec les Scandinaves ? Toujours est-il qu’en 933, Raoul Ier, roi des Francs, remet au scandinave Guillaume Longue-Épée l’Avranchin et le Cotentin aux dépens des Bretons.
Une « histoire officielle » normande de l’abbaye
Un texte du XIe siècle émanant du Mont relate l’histoire de l’abbaye. Elle aurait été occupée au Xe siècle par des chanoines. Guillaume Longue-Épée († 942) aurait effectué de nombreuses donations au Mont. Son fils, Richard Ier, aurait nommé Mainard Ier abbé en 966 afin que celui-ci évince les chanoines pour les remplacer par des moines vivant sous la règle bénédictine.
Une histoire revisitée : l’influence bretonne et mancelle
Cette histoire « officielle » est liée à une écriture normande voulant gommer la présence bretonne et mancelle sur l’abbaye au Xe siècle. En fait, un examen approfondi des textes révèle une influence des princes bretons. On y apprend que les ducs des Bretons et leurs proches y font des donations donnant naissance à des prieurés, et que Conan Ier († 992) y est inhumé. Qui plus est, le fils de ce dernier, Geoffroy Ier († 1008), nomme Mainard II comme abbé du Mont puis l’installe également à la tête de Redon.
Mais l’aire d’influence de l’abbaye ne s’arrête pas à la Bretagne. Entre autres, Hugues, comte du Maine, et les Rorgonides – très puissante parenté implantée dans la même région – font des dons à l’abbaye. De plus, des noms de personnages considérables de l’Occident chrétien figurent dans le nécrologe, révélant la qualité du réseau des moines montois : Fulbert de Chartres, Gauzlin de Fleury, Mayeul de Cluny.
Et l’abbaye passe sous domination normande
La mainmise de la Normandie sur le Mont débute sous la minorité du duc des Bretons, Alain III. Il est sous la garde de Richard II de Normandie, qui destitue Mainard II, son abbé, au profit d’Hildebert. Elle s’accentue en 1027-1030 avec Robert le Magnifique, qui saisit le territoire situé entre les deux rivières de la Sélune et du Couesnon. Elle s’achève par la soumission, au Mont-Saint-Michel, d’Alain III au duc des Normands en 1030. Ainsi, l’abbaye est définitivement rattachée à la Normandie.