En Bretagne, manger des crêpes est presque une seconde nature. Et la guerre qui fait rage entre les partisans de l’appellation « crêpes » et ceux préférant le terme de « galettes » est à la hauteur de leur amour pour ce plat simple, qui s’adapte à tous les goûts. Ce qui réunit tous les convives ? Le fait que leurs crêpes et galettes sont préparées avec une farine spécifique : le sarrasin, également appelé « blé noir ». Cette plante n’est pas une céréale comme le blé : c’est une polygonacée, comme la rhubarbe ou l’oseille. On croit parfois qu’elle a été rapportée en Bretagne à l’époque des croisades, mais en réalité elle a été introduite comme culture vivrière au cours du XVe siècle dans la péninsule armoricaine. Le sarrasin ne pousse d’ailleurs pas qu’en Bretagne. Il est cultivé et consommé dans plusieurs régions de France, notamment en Normandie. Son gros avantage : il pousse facilement sur des terres pauvres et donne de bons rendements. Jusqu’au XIXe siècle, la population bretonne se nourrit avec cette farine de blé noir. Comme elle ne contient pas de gluten, on ne peut pas en faire du pain. Alors, on mange le sarrasin sous forme de bouillie, de far, de crêpes ou de galettes.
Des billig datant du Moyen Âge
Manger des crêpes fait donc partie, de longue date, des menus bretons. Le Catholicon, le premier dictionnaire breton-latin-français édité en 1499, réserve une entrée au mot crampoezenn, traduit par « crêpe », et mentionne également l’existence de spanell ou de vire-galette. Sur le site de l’ancienne abbaye de Landévennec, les archéologues ont même découvert plusieurs récipients qui s’apparentent à des billigs, ou galettières, datant du Moyen Âge. Les scientifiques pensent qu’ils servaient à cuire des sortes de fars, plus épais que nos crêpes modernes, mais avec la même base. À cette époque, toutefois, pas question de se régaler d’une « complète » jambon-œuf-fromage ! On se contente de tremper sa crêpe ou sa galette dans un bol de soupe ou dans une bouillie. Petit à petit, de nouvelles pratiques apparaissent. À la fin du XIXe siècle, le folkloriste Paul Sébillot repère une curieuse recette dans le nord-ouest de l’Ille-et-Vilaine : le pain de Becherel, un œuf autour duquel est roulé une galette chaude. Peut-être l’ancêtre de la galette-saucisse, aujourd’hui adulée des habitantes et habitants du pays de Rennes ?
La crêperie, une invention récente
Mais où mange-t-on ces fameuses crêpes ? À la maison, d’abord, mais aussi dans la rue. En ville, on achète crêpes et galettes confectionnées par des crêpières professionnelles – le métier est majoritairement féminin – pour aller les déguster au cabaret. La première crêperie, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est probablement née à Rennes au XIXe siècle. Installé rue Beaurepaire, ce restaurant propose alors un menu accessible à toutes et tous : « un sou de galette, un sou d’œuf et, pour comble du luxe, un sou de beurre de supplément ». C’est aussi à l’extérieur de la Bretagne que fleurissent les crêperies, tout au long du XXe siècle : la pauvreté et l’envie de voir du pays poussent en effet de nombreux Bretonnes et Bretons à s’exiler aux États-Unis, au Havre ou à Paris. Dans ces grandes villes, ces émigrés se réunissent régulièrement pour déguster des plats de leur région d’origine. Dans les années 1950, des crêperies ouvrent à Paris et les crêpes sont désormais servies dans des assiettes. À l’image de la pizza, un plat simple et basique venu d’Italie qui s’enrichit de garniture en arrivant aux États-Unis, la crêpe bretonne accueille désormais des ingrédients les plus divers. Un succès local et international qui ne s’est pas démenti jusqu’à aujourd’hui.