Au cours du XIXe siècle, avec la révolution des transports née de la machine à vapeur, les Écossais sont passés maîtres dans la construction métallique qui annonce la disparition de la marine en bois. L’introduction des bateaux en fer a ouvert de grandes perspectives dans le développement de lignes transatlantiques. Le 23 janvier 1860, la signature du Traité de libre-échange franco-britannique favorise le transfert de technologie en matière de construction navale.
Naissance d’un chantier naval dans le sillage de l’ouverture transatlantique
Après d’âpres négociations avec l’État français, la compagnie des frères Pereire signe une convention postale dans laquelle elle doit desservir pendant vingt ans des lignes transatlantiques avec New York (à partir du Havre) et avec l’Amérique centrale et les Caraïbes (à partir de Saint-Nazaire). Les frères Pereire, banquiers saint-simoniens, s’engagent à construire la moitié de leur flotte à Saint-Nazaire. L’ingénieur lorientais Dupuy de Lôme, directeur des constructions navales au ministère de la Marine, joue un rôle déterminant dans l’introduction de John Scott auprès des frères Pereire. Il connaît bien la maison Scott pour avoir fait un séjour à leur chantier de Greenock afin de parfaire ses connaissances en matière de propulsion marine. Le 18 janvier 1862, le contrat est conclu avec les Écossais pour la construction d’un chantier naval sur la presqu’île de Penhoët.
Une aventure industrielle écossaise en terre bretonne
C’est à son fils John, alors âgé de 32 ans, que Charles C. Scott confie cette mission en tant que fils aîné. L’Écossais est un personnage hors du commun qui aurait pu inspirer le Nantais Jules Verne. Le brillant ingénieur est issu d’une dynastie de constructeurs de navires installée depuis 1711 à Greenock, port situé à l’embouchure de la Clyde sur la côte ouest de l’Écosse. Il n’avait que 21 ans lorsque son père l’associa, en 1851, au chantier familial et il devint très vite un spécialiste de la propulsion marine. La Clyde est au cœur du boom industriel britannique avec une cohorte de grands ingénieurs passés maîtres dans la construction des plus grands navires de l’époque.
La maison Scott fournit les machines-outils, les plans des installations et la main-d’œuvre nécessaire à la construction de cinq paquebots transatlantiques. Elle fait venir quinze contremaîtres de la Clyde chargés de former la main-d’œuvre locale à la construction métallique. Les charpentiers briérons font alors la réputation de la marine en bois du Brivet, avec des chantiers installés à proximité, près du port de Méan. Les hommes de la Clyde accomplissent parfaitement leur mission. En octobre 1862, le premier paquebot qui portera le nom d’Impératrice Eugénie est mis sur cale.
En moins de deux années, John Scott aura créé un chantier moderne et mis sur cales quatre paquebots. Au plus fort de son activité, le chantier emploie près de 2 000 ouvriers. Le 23 avril 1864, les Nazairiens assistent au lancement de l’Impératrice Eugénie, premier paquebot en fer construit en Bretagne. Au milieu des années 1860, la crise économique touche de plein fouet les compagnies transatlantiques, engendrant un manque de liquidités pour assurer l’activité du chantier Scott of Penhoet. En 1865, les trois premiers liners nazairiens sont livrés à la C.G.T. (Compagnie générale transatlantique). En 1866, alors que le cinquième navire, le Saint-Laurent, rejoint Le Havre, tout semble indiquer que les jours du chantier sont comptés. On assiste à des faillites en cascade dans le monde bancaire et dans le milieu maritime. Le 25 novembre 1866, la banqueroute du chantier Scott est déclarée. Le chantier nazairien, qui sera repris par la C.G.T., ferme ses portes en 1870. John Scott gardera toute sa vie un grand regret pour la perte de son chantier breton.
À Saint-Nazaire, plus rien ne sera comme avant. En 1881, le site renaît de ses cendres avec la création des Chantiers de la Loire, sous l’impulsion du capitalisme nantais, suivie en 1882 par celle des Chantiers de Penhoët, propriété de la C.G.T. Ces deux chantiers seront à la pointe des innovations technologiques durant des décennies avant de fusionner en 1955 pour résister à la concurrence asiatique, sous le nom de Chantiers de l’Atlantique.