Naissance de la construction navale moderne à Saint-Nazaire

Auteur : Hubert Chémereau / décembre 2016
En 1862, John Scott, jeune ingénieur venu d’Écosse, crée à Saint-Nazaire le premier grand chantier naval de Bretagne. La création d’un chantier naval moderne sur la presqu’île de Penhoët est l’un des premiers grands transferts de technologie britannique en terre bretonne. Cette aventure industrielle donnera naissance, en 150 ans, à 621 navires dont les célèbres paquebots Normandie, France et Queen Mary 2.

Au cours du XIXe siècle, avec la révolution des transports née de la machine à vapeur, les Écossais sont passés maîtres dans la construction métallique qui annonce la disparition de la marine en bois. L’introduction des bateaux en fer a ouvert de grandes perspectives dans le développement de lignes transatlantiques. Le 23 janvier 1860, la signature du Traité de libre-échange franco-britannique favorise le transfert de technologie en matière de construction navale.

Naissance d’un chantier naval dans le sillage de l’ouverture transatlantique

Après d’âpres négociations avec l’État français, la compagnie des frères Pereire signe une convention postale dans laquelle elle doit desservir pendant vingt ans des lignes transatlantiques avec New York (à partir du Havre) et avec l’Amérique centrale et les Caraïbes (à partir de Saint-Nazaire). Les frères Pereire, banquiers saint-simoniens, s’engagent à construire la moitié de leur flotte à Saint-Nazaire. L’ingénieur lorientais Dupuy de Lôme, directeur des constructions navales au ministère de la Marine, joue un rôle déterminant dans l’introduction de John Scott auprès des frères Pereire. Il connaît bien la maison Scott pour avoir fait un séjour à leur chantier de Greenock afin de parfaire ses connaissances en matière de propulsion marine. Le 18 janvier 1862, le contrat est conclu avec les Écossais pour la construction d’un chantier naval sur la presqu’île de Penhoët.

Les « Maisons Scott » : logements construits par  John Scott pour ses ouvriers - Coll. Michel Mahé
En 1863, le photographe quimpérois Jules Duclos immortalise le chantier Scott - Fonds Musée de Bretagne

Une aventure industrielle écossaise en terre bretonne

C’est à son fils John, alors âgé de 32 ans, que Charles C. Scott confie cette mission en tant que fils aîné. L’Écossais est un personnage hors du commun qui aurait pu inspirer le Nantais Jules Verne. Le brillant ingénieur est issu d’une dynastie de constructeurs de navires installée depuis 1711 à Greenock, port situé à l’embouchure de la Clyde sur la côte ouest de l’Écosse. Il n’avait que 21 ans lorsque son père l’associa, en 1851, au chantier familial et il devint très vite un spécialiste de la propulsion marine. La Clyde est au cœur du boom industriel britannique avec une cohorte de grands ingénieurs passés maîtres dans la construction des plus grands navires de l’époque.

La maison Scott fournit les machines-outils, les plans des installations et la main-d’œuvre nécessaire à la construction de cinq paquebots transatlantiques. Elle fait venir quinze contremaîtres de la Clyde chargés de former la main-d’œuvre locale à la construction métallique. Les charpentiers briérons font alors la réputation de la marine en bois du Brivet, avec des chantiers installés à proximité, près du port de Méan. Les hommes de la Clyde accomplissent parfaitement leur mission. En octobre 1862, le premier paquebot qui portera le nom d’Impératrice Eugénie est mis sur cale.

Le port de Saint-Nazaire vers 1860 Dessin de Deroy. Archives AREMORS

Le port de Saint-Nazaire vers 1860 Dessin de Deroy. Archives AREMORS

En moins de deux années, John Scott aura créé un chantier moderne et mis sur cales quatre paquebots. Au plus fort de son activité, le chantier emploie près de 2 000 ouvriers. Le 23 avril 1864, les Nazairiens assistent au lancement de l’Impératrice Eugénie, premier paquebot en fer construit en Bretagne. Au milieu des années 1860, la crise économique touche de plein fouet les compagnies transatlantiques, engendrant un manque de liquidités pour assurer l’activité du chantier Scott of Penhoet. En 1865, les trois premiers liners nazairiens sont livrés à la C.G.T. (Compagnie générale transatlantique). En 1866, alors que le cinquième navire, le Saint-Laurent, rejoint Le Havre, tout semble indiquer que les jours du chantier sont comptés. On assiste à des faillites en cascade dans le monde bancaire et dans le milieu maritime. Le 25 novembre 1866, la banqueroute du chantier Scott est déclarée. Le chantier nazairien, qui sera repris par la C.G.T., ferme ses portes en 1870. John Scott gardera toute sa vie un grand regret pour la perte de son chantier breton.

À Saint-Nazaire, plus rien ne sera comme avant. En 1881, le site renaît de ses cendres avec la création des Chantiers de la Loire, sous l’impulsion du capitalisme nantais, suivie en 1882 par celle des Chantiers de Penhoët, propriété de la C.G.T. Ces deux chantiers seront à la pointe des innovations technologiques durant des décennies avant de fusionner en 1955 pour résister à la concurrence asiatique, sous le nom de Chantiers de l’Atlantique.

 

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Auteur : Hubert Chémereau, « Naissance de la construction navale moderne à Saint-Nazaire », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 1/12/2016.

Permalien: https://bcd.bzh/becedia/fr/naissance-de-la-construction-navale-moderne-a-saint-nazaire

Bibliographie

  • Chémereau Hubert,« Scott & Co of Penhoet », Le Chasse-Marée n° 236, octobre 2011.
  • Belser Christophe, Histoire des chantiers navals à Saint-Nazaire, Coop Breizh, 2003.
  • Ouvrage collectif, De la Clyde à Saint-Nazaire. Les liens Bretagne - Écosse dans la construction navale, Institut Culturel de Bretagne, 2004.

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