Au XIXe siècle, un embocagement massif se produit à la suite de la conquête de ces terres vagues. Conséquence de la loi de partage de 1850, ce mouvement est aussi le résultat du besoin grandissant de terres dû à la pression démographique. Le géographe Camille Vallaux le décrit ainsi à Brasparts, dans les monts d’Arrée, en 1908 : « Les landes disparaissent, les fossés dessinent un quadrillage ininterrompu sur le sol ; les ruisseaux, les prairies, les champs se multiplient, les arbres se pressent sur les fossés, des bouquets de bois apparaissent et la solitude s’anime. »
De 1850 à 1890, le nombre d’exploitants cultivant uniquement leurs terres est en effet multiplié par deux. L’accès à la propriété s’accompagne d’un mouvement d’enclosure. Le linéaire de talus ne cesse de s’accroître, densifiant le bocage. Sur les terres anciennement conquises, cela se traduit par un morcellement de plus en plus important du parcellaire. Quant aux terres nouvellement mises en culture, un bocage aux parcelles de formes plus régulières se dessine.
Dans cette période, les observateurs insistent sur la grande division de ce parcellaire. Prolifération des talus et persistance des landes sont à la fois les signes du retard de l’agriculture et les marques du « sauvage », symboles d’un territoire qui n’a pas été entièrement conquis, maîtrisé ; d’une agriculture qui doit toujours composer avec la nature dans un siècle où le progrès devient l’idéologie dominante.
Un obstacle au progrès
À partir des années 1950, les transformations agricoles bouleversent les paysages ruraux, mais aussi la société paysanne. « La “révolution culturelle” ne met pas simplement en cause l’économie paysanne dans sa dimension technique et agricole ; parallèlement à la pénétration de l’idéologie moderniste et à la valorisation du progrès technique, il y a domination culturelle de la société rurale et dévalorisation profonde de la culture paysanne […]. Le paysage traditionnel bocager, caractéristique de l’économie paysanne, est lui-même dévalorisé et considéré comme anti-économique », écrit le géographe Corentin Canevet en 1983. Les structures bocagères apparaissent en effet comme un frein au développement, voire un archaïsme. Les exploitations se restructurent dans le but d’établir un maillage permettant notamment l’utilisation des machines agricoles. La valeur accordée à la terre se modifie, elle est alors conçue comme un moyen de production. Remise en cause et destruction du bocage s’expliquent en partie par cette nouvelle vision. Lorsque la terre est d’abord pensée comme patrimoine, le talus a son utilité en tant que limite de propriété. Quand elle est pensée comme moyen de production, talus et haie deviennent une gêne.
La fin du bocage ?
Dégradation du bocage, croissance des friches, multiplication des boisements dominent l’évolution paysagère récente. Le paysage s’uniformise. L’entretien du talus est abandonné, celui de la haie simplifié. Cette évolution s’explique notamment par l’adoption de critères économiques de rentabilité, mais aussi par l’affranchissement des agriculteurs par rapport à la norme traditionnelle de conduite de la clôture. En effet, à la différence du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle où les usages, les baux, la pression sociale imposaient une certaine homogénéité de traitement, le contrôle des clôtures se relâche nettement. Si cet affranchissement vis-à-vis de la norme, et donc de la communauté, date des années 1950, on observe cependant un trait constant dans l’attitude des agriculteurs : il s’agit de l’affirmation de leur libre arbitre dans la gestion de leurs terres. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, s’enclore paraît être un moyen d’affirmer à la fois son indépendance et son droit sur la terre. L’affranchissement vis-à-vis de la norme traditionnelle participe du même principe.
Aujourd’hui, l’utilité environnementale du bocage est couramment admise et ses fonctions paysagère et patrimoniale reconnues ; les politiques cherchent à intégrer le bocage dans l’aménagement rural. Avec la périurbanisation, un bocage pavillonnaire s’est également développé. Dans l’étude qu’elle a menée, notamment autour de Rennes, l’ethnologue Pauline Frileux montre que ce dernier est perçu comme une « pellicule protectrice » autour de l’habitation, et la haie comme « une garantie d’appropriation de la parcelle et de liberté d’usage ». Le bocage, en zones rurale ou pavillonnaire, semble donc lié à l’affirmation de la propriété individuelle.