Le 12 janvier 1941, Hitler donne l’ordre de transférer le Tirpitz dans un fjord norvégien. Ce navire est si puissant qu'aucun cuirassé allié ne peut l'affronter seul. Dans cette guerre logistique, il menace directement le ravitaillement de la Grande-Bretagne avec le risque de rejoindre l'escadre de Brest et de gagner le port de Saint-Nazaire pour son entretien. En août, Churchill, qui fait de sa neutralisation une priorité, commande une étude sur la destruction de la forme Joubert. Lord Mountbatten, chef des Opérations Interarmées et Interalliées, est en charge de cette opération qui prend comme nom de code «Chariot».
Le 25 février 1942, l'état-major donne son feu vert pour le recrutement des hommes destinés à accomplir cette mission. Les Britanniques n'ignorent pas que 6 000 soldats sont basés à Saint-Nazaire et qu’une impressionnante artillerie défend l'estuaire de la Loire. Grâce aux réseaux de Résistance locaux, les Britanniques rassemblent une masse d’informations sur le port nazairien. L'ensemble de ces renseignements permet de laisser libre court à l'imagination fertile des hommes de l'art es-destruction de sa Gracieuse Majesté.
Le Campbeltown, botte secrète de l'Amirauté
Le vieux destroyer US Buchanan est destiné à servir de bélier pour enfoncer la porte de la forme Joubert et permettre à des commandos de mettre pied à terre. En dix jours, le bâtiment est modifié à Devonport pour prendre l'apparence d'un torpilleur allemand et est transformé en explosif flottant pour pulvériser la porte de la forme grâce à une énorme bombe à retardement. Des commandos s'entraînent intensément sur les docks de Cardiff et Southampton pour, le jour venu, être capables en un temps record de poser des charges explosives dans les endroits névralgiques de la forme Joubert et des installations du port.
L'exploit nautique ouvre la porte à l'exploit militaire
Le 26 mars 1942, le convoi qui part de Falmouth est composé de deux destroyers, dix-sept vedettes et du Campbeltown. Au total ce sont 345 marins et 264 commandos qui sont engagés dans l'opération. Les bâtiments de la Royal Navy doivent se faufiler entre les U-Booten et les navires de la Kriegsmarine. Pour ce raid de nuit dans un estuaire de la Loire truffé de mines, encombré de bancs de sable et d'épaves, le sondeur est l’homme clef pour la réussite de l'opération.
Pour tromper l'ennemi, le convoi fait route sur La Rochelle avant de remonter sur Saint-Nazaire par un chenal inutilisé. Le stratagème fonctionne en provoquant la confusion chez les Allemands qui ne peuvent imaginer que des navires britanniques puissent arriver par le sud, ce qui est contraire à tous les usages. A côté de l'exploit militaire des commandos, la Royal Navy signe donc une véritable prouesse nautique en amenant le Campbeltown et les vedettes qui sont dans son sillage à bon port.
A 1h 27 du matin, le Campbeltown amène le pavillon de la Kriegsmarine et arbore fièrement la Saint-George’ s Cross. Chez les Allemands, la confusion est totale. Le feu ennemi devient intense. L'estuaire est illuminé par des vedettes en feu. A plus de 20 nœuds le Campbeltown parvient à enfoncer la porte de la forme Joubert. Il est 1h34, la bataille de Saint-Nazaire commence. Les commandos provoquent de grandes destructions parmi les infrastructures portuaires. La déficience des plans de repli se faire néanmoins cruellement sentir. Seules cinq vedettes parviennent à quitter Saint-Nazaire avec 222 marins et commandos à bord. Adossé à la mer, les hommes qui n’ont pu rembarquer transforment le « Vieux Saint-Nazaire » en camp retranché. Leur courage force toutefois l'admiration des Allemands qui offrent des honneurs militaires aux raiders morts au combat.
A 11h30 du matin, alors que la commission d'enquête allemande est sur le navire, une énorme déflagration secoue la ville. Le destroyer vient d'exploser tuant plus d'une centaine de soldats, dont un grand nombre d'officiers. La puissance du flot provoquée par l'explosion a littéralement projeté le Campbeltown jusqu'à la moitié du bassin. Les dégâts sont considérables. Le Tirpitz peut dire adieu à son refuge breton. Si les propagandes nazie et vichyste présentent l'Opération Chariot comme un cuisant revers pour les Britanniques, le rapport allemand (confidentiel) reconnait son succès. Suite au raid, Hitler prélève des troupes sur le front russe pour renforcer ses défenses à l’Ouest.