Bertrand d’Argentré (1519-1590)

Auteur : Alexandre Lepesteur / septembre 2019
Bertrand d’Argentré, homme de loi et historien breton de la fin du XVIe siècle, naît en 1519 mais dispose d’une aura posthume qui perdure encore aujourd’hui. Considéré, en particulier par les historiens et biographes du XIXe siècle comme le « champion des libertés bretonnes », l’homme, par son parcours, sa culture et ses choix politiques, interroge encore les chercheurs, qui donnent aujourd’hui de lui une vision beaucoup plus nuancée.

« Le plus grand juriste breton de toute l’époque moderne » (A. Croix)

Bertrand d’Argentré naît à Vitré le 19 mai 1519 au sein d’une famille noble. Son père, Pierre d’Argentré, est sénéchal de Rennes, c’est-à-dire un officier chargé de la justice à l’échelle locale. Voyant le jour dans une famille d’officiers, Bertrand est éduqué, logiquement, en vue d’entrer dans la carrière juridique.

D’abord sénéchal de Vitré, il est pourvu du poste de sénéchal à Rennes par la résignation de son père en 1547 ou 1548, c’est-à-dire lorsqu’il décide d’en faire son successeur. Puis, avec l’instauration des présidiaux par Henri II, il devient entre 1552 et 1589, président du présidial, un échelon juridique entre la sénéchaussée et le Parlement. C’est dans ce cadre qu’il participe en 1580 à la réforme de la coutume bretonne. Aux côtés de quatre autres commissaires, il y exerce une très grande influence sur la rédaction de la Nouvelle coutume de Bretagne aux états de Ploërmel.

Portrait de Bertrand d’Argentré par A Meuret (gravure du XIXe siècle). Musée de Bretagne : 939.0028.327.Penseur et auteur prolixe, Bertrand d’Argentré rédige de nombreux ouvrages en lien avec son action d’homme de loi. Ainsi, en 1568, il publie les Coutumes générales des pays et duché de Bretagne, revues et corrigés sur l’original des commissaires réformateurs de l’an 1539 à Rennes, premier commentaire sur l’ancienne coutume de Bretagne et sur sa mise par écrit en 1539. Son action en tant que commissaire aux états de Ploërmel en 1580 lui permet de rédiger Aitiologia (publié en 1584), un compte-rendu des débats sur la nouvelle coutume. Ainsi, beaucoup d’historiens soulignent que c’est un écrivain qui est lu et reconnu.

Curieux, Bertrand d’Argentré est aussi un humaniste. Pour preuve, sa bibliothèque est, en 1580, sans doute la plus importante en Bretagne et compte 2 600 volumes qui portent sur de nombreuses thématiques : le droit, l’histoire, la littéraire antique et contemporaine mais aussi les « sciences » (médecine, physique, astrologie, etc.). Mais c’est surtout pour son activité d’historien de la Bretagne qu’il bénéficie, notamment au XIXe siècle, d’un écho important.

Un historien de la Bretagne

Bertrand d’Argentré s’intéresse très tôt à l’histoire de la Bretagne : lorsqu’il a 23 ans, il traduit l’ouvrage de Pierre le Baud, un de ses aïeuls, aumônier d’Anne de Bretagne. Mais c’est en 1580 que les états de la province lui demandent de rédiger une histoire. Ainsi, en 1582, est publiée la première édition de L’histoire de Bretagne des Roys, ducs, comtes et princes d’icelle, l’establissement du royaume, mutation de ce titre en duché, continuité jusqu’au temps de Madame Anne, dernière duchesse et depuis Royne de France, par le mariage de laquelle passa le duché de la maison de France. Mais l’ouvrage est saisi dès sa publication, forçant Bertrand à proposer une deuxième version en 1588. Le texte original est un texte de 1174 pages très incisif qui valorise la Bretagne aux détriments de l’action des rois de France. La thèse défendue par Bertrand d’Argentré est que la Bretagne n’est pas qu’une simple province appartenant à la couronne de France, mais que le duché a une origine distincte. Il donne ainsi une antériorité à la Bretagne, en faisant commencer son histoire avec un roi fondateur : Conan Mériadec. Pratique classique, que l’on retrouve chez les théoriciens de la monarchie au XVIe siècle, et qui consiste à établir une généalogie mythique, et le plus souvent antique, aux peuples. Mais c’est surtout sur l’Union de la Bretagne au royaume de France en 1532 qu’il est très critique : pour lui ce n’est le fait que de la corruption de quelques uns.

Un opposant à la monarchie ?

Les historiens du XIXe siècle en ont fait un défenseur de l’indépendance bretonne, en particulier du fait de son choix, en 1589, de suivre le gouverneur de Bretagne Philippe Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, en rébellion contre le roi Henri III. Bertrand d’Argentré choisit donc le camp dit ligueur, c’est-à-dire le camp opposé à la monarchie. Néanmoins, c’est la saisie de son ouvrage en 1582 qui forge son image et contribue à sa gloire. Mais il faut remettre cette saisie dans le contexte de l’époque. Le royaume de France est touché par les Guerres de Religion depuis 1562 et les différents rois qui se succèdent peinent à imposer leur autorité.

Le massacre de la Saint-Barthélémy. Peinture de François Dubois. Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne / Wikicommons.Le choix de la Ligue par Bertrand d’Argentré fait de lui un opposant à la monarchie. Pour autant, cette décision n’intervient qu’un an avant sa mort, en 1590. Il n’a donc pas pu participer activement au conflit. De plus, dans son épître au roi placé au début de son ouvrage, il n’hésite pas à proclamer sa fidélité à la monarchie. On lit ainsi : « Sire, je n’ai pas grand crainte de vous adresser ce mien travail, témoin de mon très humble service et de la volonté qui y est consacrée (…) l’ayant fait à la reconnaissance de la grandeur, honneur et valeur des vôtres et du sang de vos ancêtres (…) ».

Cette vision d’un opposant à la monarchie doit donc être nuancée, ce d’autant que les historiens contemporains ne font plus de la Ligue un épisode « indépendantiste » de l’histoire bretonne.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Alexandre Lepesteur, « Bertrand d’Argentré (1519-1590) », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 23/09/2019.

Permalien: http://bcd.bzh/becedia/fr/bertrand-d-argentre-1519-1590

BIBLIOGRAPHIE

 

Pour une présentation d’un biographe du XIXe siècle :

  • Kerviler René, Répertoire général de bio-bibliographie bretonne, T.1,  Rennes, Libraire générale de J. Plihon et L. Hervé, 1886 (réimprimé en 1978 par Joseph Floch).

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