La guerre de la Ligue en Bretagne (1588-1598) : sa singularité et ses enjeux

Auteur : Hervé Le Goff / décembre 2016
La Bretagne est entraînée tardivement par son gouverneur dans la huitième et dernière des guerres de Religion, pour des motifs autant politiques que religieux. Les implications internationales de ce conflit breton rendront complexe son déroulement et retarderont sa solution.

Montée du conflit


Dès les années 1560, des ligues catholiques résistaient aux huguenots. La plus connue, celle de Péronne, est signée en février 1576, un an avant celle de Nantes. Au gré des hésitations de la politique royale, elles agissent avec l’accord plus ou moins tacite du roi. Mais la grande Ligue formée progressivement autour d’Henri de Guise s’oppose bientôt frontalement à Henri III, en raison de sa politique jugée trop favorable aux Réformés, et de l’absence d’héritier qui faisait du protestant Henri de Navarre son successeur au trône. Pour récupérer un pouvoir qui lui échappait après sa fuite de Paris, le roi convoque les états généraux à Blois où il fait assassiner le duc de Guise (décembre 1588). Les Ligueurs prennent alors les armes contre lui. »

Un conflit pluricausal


Contrairement à ce que l’on avance parfois, la Bretagne n’est pas restée à l’écart de la guerre de Religion qui divise le royaume dans la seconde moitié du XVIe siècle. La Réforme, il est vrai, y était confinée à quelques villes portuaires et aux lieux protégés par de puissantes familles huguenotes. Mais beaucoup de ses gentilshommes se sont engagés très tôt, dans des camps opposés, hors de ses frontières ; la violence confessionnelle menaçait régulièrement ses marches normandes et poitevines. Elle n’échappait pas aux impôts levés par le roi pour sa guerre contre les protestants. La religion ne peut cependant, à elle seule, expliquer le déclenchement en Bretagne d’une guerre commencée plus tard – et achevée plus tard aussi –que dans le reste du royaume. Les relations privilégiées des négociants nantais ou malouins avec l’Espagne, les rivalités commerciales, souvent agressives, entre Bretons et Rochelais, les concurrences urbaines et familiales motiveront aussi certains positionnements et alimenteront le jeu politique et les réseaux d’influence. Philippe Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, les utilisera au service de son ambition opportuniste.

Les ambiguïtés du gouverneur


Beau-frère d’Henri III et gouverneur de Bretagne depuis 1582, il hésitait à rejoindre ouvertement la Ligue formée par ses cousins de Guise contre un roi jugé trop pusillanime à l’égard des hérétiques. L’assassinat du duc de Guise (décembre 1588) ne le jette pas immédiatement dans la révolte ouverte, mais il active ses réseaux nobiliaires et urbains et organise la défense de Nantes. Le traité passé entre Henri III et Henri de Navarre, le 3 avril suivant, le décide à franchir le pas. Soutenu par les prédicateurs très écoutés en ce temps de Pâques, il assemble des forces, installe en plusieurs villes des conseils de la Sainte Union  et encourage les soulèvements ruraux en Trégor et dans le Vitréen. Il entre même à Rennes pour y établir une municipalité à sa main bientôt renversée par les loyalistes. Chargé par le roi de rétablir l’ordre, le comte de Soissons est fait prisonnier à peine entré en Bretagne.

Une Bretagne partagée


Cette rébellion n’est cependant ni générale ni unanime. Beaucoup d’individus et d’institutions urbaines rejoignent la Ligue en raison des ambiguïtés qui marquent les premiers mois du conflit. Si une majorité de la petite noblesse y adhère, une part importante de la noblesse seconde et titrée la combat. Le clergé lui-même est divisé. Pendant que les évêques de Rennes, Dol, Léon, Saint-Brieuc suivent résolument Mercœur, ceux de Nantes et Tréguier restent fidèles au roi. Les magistrats des cours souveraines sont partagés, hormis les officiers supérieurs nettement plus royalistes. Quant aux soulèvements paysans, ils ont des motivations diverses et parfois autonomes.

Brest, tenu par les royalistes est un site stratégique. Son gouverneur, René de Rieux (1548-1628) seigneur de Sourdéac, en renforce les défenses en 1594. Itinéraire de Bretagne de Dubuisson-Aubenay en 1636. Château de Brest : n°5 : maison du gouverneur, n° 14 le bastion de Sourdéac. Crédit : Manuscrit Dubuisson-Aubenay – BNF
Afin d’asseoir les fondements administratifs et judiciaires de son pouvoir, Mercœur installe, en concurrence des institutions légales, un parlement, une chambre des comptes, des présidiaux, et jusqu’à une chambre des monnaies. La Bretagne est ainsi coupée en deux camps sensiblement de même force mais géographiquement très inégalement répartis. Les ligueurs, solidement implantés jusqu’au terme de la guerre, malgré quelques solides poches de résistance, dans les évêchés de Nantes, Vannes et Quimper, verront progressivement partout ailleurs se réduire leur avantage initial.

Des forces royales oubliées du roi


Portrait d’Henri duc de Montpensier (1573-1608), prince de Dombes, dans un médaillon ovale. Estampe, XVIIe siècle. Gouverneur de Bretagne combat les Ligueurs en Bretagne à partir de 1590. Il est battu à la bataille de Craon en 1592. © Direction des musées de France. Chantilly ; musée Condé, 2004. Photo : ©Linda Frénois.La première année du conflit, marquée par le contrôle des communautés urbaines, les sièges de villes et de places, des soulèvements ruraux et des combats sporadiques et limités, est d’autant plus favorable aux Ligueurs que les forces royales peinent à s’organiser. Déstabilisées par l’arrestation du comte de Soissons et l’inexpérience de son successeur, le prince de Dombes, les forces loyalistes souffrent de leur dispersion, des rivalités entre capitaines et du peu d’attention porté par le roi à cette partie maritime de son royaume. Le débarquement de forces anglaises à l’appui des royaux (mai 1591), après celui des Espagnols alliés de la Ligue (octobre 1590), internationalise le conflit sans être décisif. Il n’empêche pas la victoire de Mercœur à Craon (mai 1592) sur les armées de Dombes et Conti. Mais ses désaccords avec les Espagnols, et les repositionnements qui suivent l’abjuration d’Henri IV, empêchent le duc d’en profiter. La perte de Morlaix et Quimper réduit encore ses capacités militaires et sa trésorerie, désormais peu alimentée par une Espagne financièrement affaiblie. Même le désengagement anglais ne lui permet pas de reconquérir le terrain perdu. De plus en plus isolé après la soumission du duc de Mayenne et la mort politique de la Ligue, il est contraint d’ouvrir des pourparlers de paix en fin 1594. Dès lors, les options stratégiques du roi expliquent en large partie la prolongation d’un conflit entrecoupé de longues trêves qui ne préservent pas le peuple de la rapacité des garnisons ni des exactions de soudards débandés.
 

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Auteur : Hervé Le Goff, « La guerre de la Ligue en Bretagne (1588-1598) : sa singularité et ses enjeux », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 5/12/2016.

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