Le service des Phares
Jusqu’en septembre 1791 la gestion de la vingtaine de feux établis sur l’ensemble des côtes du royaume relève d’organismes divers, aussi bien publics que privés. Cependant, la situation catastrophique de l’éclairage sur le littoral pousse les autorités à créer le 15 septembre 1792 une administration particulière chargée de remédier au problème. L’État l’élève à l’échelon national alors que l’éclairage des côtes relevait auparavant du niveau provincial ou municipal et était confié aux représentants du commerce local. D’une certaine manière, les phares, en Bretagne comme ailleurs sur le reste du littoral français, découlent de la montée en puissance de l’État central qui émerge avec la Révolution de 1789. Le vote de la loi de 1792 part de surcroît d’un principe excellent et totalement novateur, à savoir d’une part l’unité de gestion et de décision, d’autre part la codification des responsabilités de la puissance publique dans le domaine de la signalisation maritime.
La Marine, chargée traditionnellement de cette question, perd graduellement son autorité et Napoléon, par le décret du 7 mars 1806, achève le transfert vers l’administration des Ponts et Chaussées, dorénavant responsable de la réalisation et de l’entretien des marques du balisage. Toutefois, ce n’est qu’au lendemain des guerres napoléoniennes qu’un vaste chantier de construction de bâtiments publics s’organise, conformément aux décisions prises par la Commission des phares créée en 1811, et à laquelle est nommé, en mai 1819, l’ingénieur des Ponts Augustin Fresnel. Avec le capitaine de Rossel, il s’attache à la rédaction d’un projet d’éclairage des côtes de France, présenté en mai 1825. Cet ambitieux programme s’appuie sur trois classes de feux : les marques d’atterrissage, les marques de jalonnement – phares transitoires entre deux phares d’atterrissage – et les fanaux de ports. En fonction des moyens imaginés par Augustin Fresnel pour augmenter la puissance des lampes et des appareils optiques devant équiper les phares, la Commission arrête les bases principales du dispositif général d’éclairage des côtes, définitivement adopté le 9 septembre 1825. Les phares doivent être au nombre de 51 dont 28 de premier ordre, 5 du deuxième et enfin 18 de troisième ordre, tous équipés des fameuses optiques de Fresnel. Pour compléter le dispositif, il était prévu l’installation de 35 feux de ports. Pour parvenir à la réalisation du but fixé par le programme, il faut ériger une quarantaine de tours conçues en grande partie sous l’autorité de Léonce Reynaud, ingénieur des Ponts et Chaussées, qui sera directeur du Service des phares pendant trente-huit ans.
Des programmes de réalisations ambitieux
Le 20 juillet 1823, pour la première fois au monde, une lentille conçue et réalisée par Fresnel est installée sur la tour de Cordouan, dans l’estuaire de la Gironde. Dès lors se pose la question de la construction des bâtiments nécessaires à la réalisation du programme. Pour tenter de réduire les dépenses, il est décidé dans un premier temps de récupérer tous les édifices déjà bâtis, comme la tour de l’Aiguillon à Saint-Nazaire, ou l’ancien phare du Stiff à Ouessant, mais aussi le clocher de l’église de Plouguerneau. La première tour érigée pour recevoir un appareil lenticulaire est construite sur la pointe de Grave en 1827 et dès lors un vaste programme est lancé : il se concrétise par l’allumage de phares comme celui de Barfleur en 1835, alors le plus haut du monde. En mer sont érigées les tours des Héaux-de-Bréhat et de la Hague.
En 1860, la France dispose du service des phares et balises le plus efficace du monde. En moins de quarante ans elle a comblé son retard vis-à-vis des nations voisines comme l’Angleterre ou les Pays-Bas et les a même largement dépassées. La puissance développée par les lentilles de Fresnel fabriquées dans les seules usines parisiennes n’a pas d’équivalent et cette technique est reconnue comme la meilleure et la plus adaptée par toutes les nations maritimes. Pourtant, le Service des phares continue de mener une politique de construction toujours intense, dans laquelle la Bretagne tient une part prépondérante. Certains points du territoire sont jugés mal signalés et des édifices complémentaires non prévus en 1825 sont construits comme sur les Triagoz, ou au Créac’h d’Ouessant. En fonction de l’amélioration des techniques, le Service des phares commence à ériger des tours dans les endroits les plus inaccessibles de nos côtes : Ar-Men, la Jument, Kéréon… autant de cailloux mythiques sur lesquels des feux sont installés au sommet de phares légendaires. Ces chantiers titanesques se doublent de programmes dits « secondaires » mais dont l’ampleur est remarquable puisqu’ils se concrétisent par la réalisation de plus de 300 tourelles pour le balisage de jour. Plus des deux tiers de ces édifices sont en Bretagne…
Si aujourd’hui toutes les aides à la navigation imaginées, installées et entretenues par ce service ont perdu de leur importance, notamment avec l’adoption de systèmes d’aides satellitaires comme le GPS, elles demeurent néanmoins primordiales. Les missions du Service des phares et balises sont toujours d’actualité : l’entretien et le développement du balisage côtier de l’ensemble du territoire tout comme la surveillance technologique des systèmes modernes d’aide à la navigation. L’automatisation n’est d’ailleurs pas sans poser un certain nombre de problèmes du point de vue de la gestion de ces édifices, véritables éléments de patrimoine. Le paradoxe est que, situés en pleine mer, de surcroît dans des parages bien souvent peu hospitaliers, rares sont celles et ceux qui peuvent les admirer.