La diversité des activités agricoles dans les îles de l’Ouest

Autrice : Naïla Bedrani / novembre 2023
Terres de culture et d’élevage, les îles ont connu un fort déclin agricole au XXe siècle. Aujourd’hui, le nombre de fermes augmente sensiblement, l’activité agricole se développe à nouveau, caractérisée par une grande diversité selon les territoires insulaires. Mais les défis à relever sont immenses, qu’il s’agisse de l’accès au foncier et au bâti, des conflits d’usage et de voisinage, de la réglementation relative à la protection de l’environnement ou des surcoûts liés au transport maritime.

Les îles de la façade maritime ouest de la France disposant d’un statut communal (ou intercommunal) sont au nombre de seize : du nord au sud, il s’agit de Bréhat, Batz, Ouessant, Molène, Sein, Groix, Belle-Île-en-Mer, Houat, Hœdic, Île-aux-Moines, Arz, Noirmoutier, Yeu, Ré, Aix et Oléron. Elles ont en commun d’avoir été minutieusement valorisées par les activités agricoles pendant plusieurs siècles. Ces activités, à vocation de subsistance, mais aussi commerciale pour les îles les plus grandes, ont largement contribué à structurer l’organisation de l’espace et la vie sociale des insulaires. Néanmoins, la situation d’insularité ne détermine pas une trajectoire agraire unique : bien d’autres paramètres sociaux, politiques, économiques ou encore pédoclimatiques entrent en jeu.

L’historien Dominique Guillemet propose en ce sens une typologie des îles en fonction des caractéristiques des paysanneries insulaires, du XVIIe au XIXe siècle. Il distingue les îles de Noirmoutier, Ré et Oléron – où travaillaient essentiellement des paysans, des sauniers et des viticulteurs – de Belle-Île-en-Mer, un territoire insulaire marqué par la polyculture-polyélevage, aux tailles d’exploitation très variables. Dans les autres îles, la main-d’œuvre masculine se tourne peu à peu vers les activités maritimes (pêche, marins de commerce, marine militaire) ce qui entraîne une féminisation quasi-totale des activités agricoles, principalement à vocation de subsistance.

''Battage à Ouessant'' en 1967. Un film de Jean-Pierre Gestin. Archives Cinémathèque de Bretagne / Dielloù Gwarez Filmoù Breizh

Au XXe siècle, toutes les activités agricoles insulaires connaissent un long déclin spatial et démographique, jusqu’à parfois disparaître totalement. Plusieurs facteurs favorisent leur marginalisation : le foncier morcelé, la dépendance au transport maritime, le relatif isolement socio-économique, l’exode rural et le manque de vocation, l’acquisition d’autres revenus plus confortables par les foyers, la modernisation des conditions de vie (modes de consommation et de stockage) et une concurrence accrue pour les terres du fait du développement du tourisme. Néanmoins, depuis les années 2000, le déclin agricole s’enraye peu à peu sur les îles. Les surfaces et le nombre de fermes cessent de diminuer, voire augmentent dans certaines îles. La reconnaissance de la multifonctionnalité de l’agriculture, les attentes sociétales en matière de relocalisation alimentaire et l’attractivité renouvelée du métier d’agriculteur contribuent à légitimer de nouveau la présence des activités agricoles. À la croisée de ce renouveau et de ces longues trajectoires agricoles singulières, les systèmes agraires insulaires contemporains peuvent alors être regroupés en trois catégories.

Les îles « filières »

La première catégorie correspond aux îles de Batz (29), Noirmoutier (85) et Ré (17). Respectivement caractérisées par leur spécialisation productive en cultures légumières, pommes de terre et vignes, les exploitations de ces îles présentent des profils plutôt homogènes et sont liées entre elles par un fonctionnement coopératif largement majoritaire.

Champ de choux dans le bourg de l'île de Batz. Crédit photo : RAIA.

La commercialisation se fait principalement par l’intermédiaire de marchés valorisant l’origine géographique à l’extérieur de l’île. Toutefois, les vins sont fortement plébiscités pour une consommation locale en saison.

Dans ces îles, la tendance est à l’agrandissement des fermes et à la mécanisation accrue du travail. Les effectifs agricoles peinent à se stabiliser. La plupart des agriculteurs sont d’origine îlienne et s’installent dans le cadre familial. En marge de ce modèle agricole dominant, quelques exploitations en productions diversifiées et circuits-courts existent.

Les îles « circuits-courts »

Cette catégorie inclut les îles de Bréhat (22), Ouessant (29), Molène (29), Groix (56), Houat (56), Hœdic (56), Arz (56), Yeu (85) et Aix (17). Les productions sont diverses : élevage bovin, ovin, porcin ou encore avicole, maraîchage diversifié, viticulture, plantes aromatiques et médicinales, ou encore arboriculture.

Élevage de moutons à Hoëdic (56). Crédit photo : RAIA.

Les agriculteurs valorisent souvent une partie de leur production par la transformation et commercialisent en circuits-courts : vente à la ferme, marchés de plein vent, associations et réseaux de consommateurs, restaurants, épiceries fines… Pour ce faire, ils sont dépendants de la fréquentation saisonnière et de points de vente sur le continent. Certains développent aussi des activités d’agritourisme (comme des activités d’accueil à la ferme, de l’hébergement, ou des activités pédagogiques, par exemple).

Tunnels sur l'île de Bréhat. Crédit photo : André Fiquet. RAIA.

Bien que les agriculteurs à titre professionnel aient toujours été en effectif très réduit, leur nombre est en augmentation. La plupart d’entre eux ne sont pas issus du milieu agricole ou de l’île où ils s’installent, bien qu’il y ait quelques exceptions. La stabilité des fermes et des familles n’est pas toujours évidente compte tenu d’une certaine précarité foncière et immobilière. Lorsque plusieurs agriculteurs sont installés sur une même île, ceux-ci ne se sont pas fédérés. Toutefois, de nombreux échanges informels existent.

À l’Île-aux-Moines et l’île de Sein, les activités agricoles professionnelles sont absentes, mais l’Île-aux-Moines pourrait aisément rejoindre cette catégorie. En revanche, les conditions pédoclimatiques difficiles de l’île de Sein laissent peu de possibilités pour ce type d’expérience.

Les îles « mixtes »

La troisième catégorie regroupe Belle-Île-en-Mer et Oléron, les îles dites « mixtes », en écho à la coexistence d’exploitations en filières longues et d’exploitations en circuits courts. Les productions traditionnelles de ces deux îles, la viticulture à Oléron et l’élevage à Belle-Île-en-Mer, restent encore majoritaires en termes d’effectif et symboliquement importantes, mais elles cohabitent aujourd’hui avec d’autres productions, qui diversifient l’offre en produits locaux. La commercialisation en filière longue et en circuits-courts est également fréquente au sein même des exploitations. Il existe dans ces îles des initiatives de structuration de filières autour des circuits-courts : un magasin de producteurs et des marques avec cahier des charges pour les viandes ovine et bovine à Belle-Île-en-Mer ; une association de producteurs pour l’approvisionnement de la restauration hors domicile et la promotion des produits locaux à Oléron.

Magasin de producteurs ‘’ Au Coin des Producteurs’’ sur la commune de Bangor à Belle-Île-en-mer. Crédit photo : CPIE Belle-Ile-en-Mer.

Ces formes organisationnelles collectives autour des circuits courts n’existent pas dans les autres îles. Les candidats à la création d’activité ou à la reprise de fermes existantes peuvent être enfants d’agriculteurs insulaires ou hors cadre familiaux bien souvent néo-insulaires. Les trajectoires et les activités des familles agricoles locales et des nouveaux venus s’entremêlent bien plus que dans la catégorie îles « filières ».

Aujourd’hui, ces activités rencontrent de nombreuses difficultés communes : l’accès au foncier et au bâti agricole rendu complexe par la spéculation immobilière, l’accès au logement tant pour les jeunes insulaires que les nouveaux venus, les conflits d’usage et de voisinage, le mille-feuille réglementaire relatif à la protection de l’environnement et des paysages, l’organisation logistique et le surcoût lié au transport maritime, etc. Les agriculteurs doivent aussi relever le défi du renouvellement des générations et de la transition agroécologique en cohérence avec la fragilité des milieux insulaires. Plusieurs de ces défis sont communs à l’agriculture littorale. Toutefois, l’insularité en exacerbe les contours, par l’exiguïté et le caractère fini de l’espace terrestre ainsi que par la taille restreinte des communautés humaines où l’interconnaissance joue encore un rôle central.

CITER CET ARTICLE

Autrice : Naïla Bedrani, « La diversité des activités agricoles dans les îles de l’Ouest », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 7/11/2023.

Permalien: http://bcd.bzh/becedia/fr/la-diversite-des-activites-agricoles-dans-les-iles-de-l-ouest

BIBLIOGRAPHIE

  • Guillemet Dominique, « Les paysanneries insulaires du Ponant (XVIIe-XIXe siècles) : typologie, stratigraphies et évolutions », dans Antoine Annie (dir.), Campagnes de l’Ouest : Stratigraphie et relations sociales dans l’histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Histoire), 1999, pp. 443‑464.
  • Guillemet Dominique, Les îles de l’Ouest de Bréhat à Oléron, du Moyen Âge à la Révolution, Geste éd., La Crèche, (Pays d’histoire), 2000, 355 p.
  • Brigand L., Chailloux A., Corsi L., David L., Lavialle G., Tesson M., « La marge attractive : les néo-entrepreneurs des îles du Ponant », dans Mobilités et marginalités, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Espaces et territoires), 2019, pp. 205‑218.
  • Brigand Louis, Les îles du Ponant. Histoires et géographie des îles et îlots de la Manche et de l’Atlantique, Plomelin, 2002, éditions Palantines, 479 p.
  • Bedrani N., Landré A., « Les stratégies du vignoble oléronais à l’épreuve de la transformation du territoire insulaire et de la dépendance au bassin de production charentais : se diversifier, résister et se distinguer », Norois, 2020/2, n° 255, pp. 37‑55.
  • Bedrani Naïla, « D’une île à une autre. Mondes agricoles contrastés de l’Ouest français », dans Brigand L., Vallat J. (dirs.), Îles : regards croisés sur l’insularité, Porspoder, Géorama, 2022, pp. 250‑253.

Proposé par : Bretagne Culture Diversité