Le Kab an aod (cape de grève) est initialement un vêtement porté dans le pays Pagan, dans le Nord Finistère par des goémoniers qui, exposés à des conditions de travail éprouvantes, l’avaient adopté pour sa résistance aux efforts et au froid lorsqu’ils allaient arracher le goémon autour des rochers. C’est autant la personnalité des marins qui s’en couvraient que l’originalité de sa coupe, les propriétés de son étoffe ou le cachet de sa couleur blanche qui ont marqué les esprits. C’est du reste à un dessinateur itinérant passionné par les costumes régionaux que l’on doit sa plus ancienne représentation figurée. En effet, lors d’un voyage effectué en Bretagne en été 1844, François-Hippolyte Lalaisse (1812-1884), professeur à l’École polytechnique à Paris, en fait le dessin, dont une version gravée est publiée dans un recueil d’estampes qui paraît un an plus tard.
Ce faisant, elle en assure la survie par l’image. Le succès de la Galerie armoricaine, un ouvrage édité à Nantes par Pierre-Henri Charpentier, occasionne d’autres reproductions : des estampes romantiques, des reproductions de presse, un costume de scène pour un spectacle « Le Fanal » créé au Théâtre de l’Opéra en 1849…
La relance par le rappel de son authenticité ouvrière bretonne
Toutefois, c’est dans le pays Bigouden, où cette tradition vestimentaire n’existait pas, que se manifestent les initiatives de relance. Ainsi, avec le dessein de promouvoir une mode bretonne de son temps, Marc Le Berre (1899-1968), membre des Seiz Breur et militant nationaliste, s’y intéresse dès 1937, date à laquelle le kab gwenn est porté couramment par les vacanciers brestois, landernéens, quimpérois ou rennais séjournant à Brignogan.
Auprès des autochtones, cette vogue leur vaut le renom ironique de « lakizien » (prononcé lakichenn), les laquais, « ceux qui ne font rien ». Après la Seconde Guerre mondiale, Marc Le Berre s’attache à retrouver les lignes authentiques des anciennes tenues goémonières et, pour cela, fait une copie d’un modèle ancien de la collection du musée départemental breton. Fort des leçons de ce modèle lui montrant la coupe, les boutons, le cranté, les surpiqûres, les lisières, la capuche, le manchon des tenues traditionnelles, il entreprend des confections qui incombent jusqu’en 1951 à l’atelier-ouvroir de Kernisy, à Quimper, puis à l’atelier familial Les Tissages de Locmaria, à l’enseigne L’enfant d’Armor, ou à la maison Ruallem également à Quimper.
La continuation par l’esprit d’entreprendre
Engagée dans une démarche résolument commerciale, la maison Le Minor, à Pont-l’Abbé, pour qui le kabig est un débouché opportun pour ses célèbres broderies, emprunte cette voie en 1950. Hybrides, les kabigs sont taillés aussi bien pour les hommes que pour les femmes et les enfants. Ils sont généralement longs, substituent des poches tombantes à la poche ventrale des origines, disposent souvent de cols. Enfin, ils sont souvent de couleur et portent une ornementation brodée. En 1974, 6 000 modèles Le Minor, confectionnés par plus de 300 ouvriers et ouvrières, et promus par des réclames hardies dans les magazines nationaux, sortent des ateliers de l’entreprise bigoudène.
Une persistance vibrante dans le mouvement culturel breton
Si l’offre commerciale atteint des niveaux d’exception dans ce domaine, c’est d’abord pour répondre à une forte demande. En effet, à partir des années 1950, des formations musicales de Basse-Bretagne aussi bien que de Haute-Bretagne adoptent le kabig, à l’image des bagadoù de Plouguerneau, de Brest, de Quimper, de Cléguer, de Ploërmel, de Fougères, de Morlaix, de Nantes, de Rennes, de Redon, de Paris, ou Marseille… Porté pendant 4 ou 5 ans, il devient un vêtement universellement breton, permettant de pallier les inconvénients des costumes locaux anciens, chers et quelquefois peu compatibles avec le port des instruments de musique lors des défilés. C’est également à cette période que le nom originel « kab an aod » est détrôné pour prendre l’appellation de « kabig », jusqu’alors employée pour les vêtements d’enfant.
Simultanément, le kabig est porté à l’écran : sur les conseils de Herry Caouissin, les acteurs des films Dieu a besoin des hommes, inspiré du roman d’Henri Queffélec Un recteur de l’île de Sein paru en 1944, et Le Mystère du Folgoët portent un kabig bleu : nul marin n’en a pourtant porté sur l’île de Sein, pas plus qu’au Folgoët. Mais il incarne désormais le vêtement maritime par excellence. La passion que portent au kabig, encore de nos jours, de jeunes stylistes comme Val Piriou, Bleuenn Seveno ou Owen Poho, prouve pareillement que sa ligne conserve une indéniable séduction. Déjà dans les années 1960, le kabig était perçu par l’ethnologue René-Yves Creston comme « le costume national de toute la jeunesse bretonne ». Dix ans plus tard, cette ferveur est relayée par d’autres militants régionalistes réussissant à inverser le sentiment négatif qui avait parfois été associé à cette tenue de labeur goémonier. Aujourd’hui, Goulc’han Kervella, metteur en scène de la troupe de théâtre Ar vro Bagan à Plouguerneau, porte le kabig avec le sentiment d’incarner son sentiment breton et l’ambition de « vivre et travailler au pays ».
Si l’existence d’une mémoire de l’habit de travail des goémoniers a longtemps subsisté, elle n’a pas suffi à elle seule à en assurer la pérennité. Celle-ci résulte plus précisément d’une conversion en trois phases. D’abord, le kab an aod dut s’affranchir de sa fonction de vêtement de travail, ensuite il a fallu qu’il devienne populaire auprès de groupes sociaux distincts du peuple Pagan qui en faisait usage professionnellement, enfin il eut à s’établir dans des territoires également différents, avant tout dans les villes. Un exemple frappant du passage du local au régional quand ce n’est pas à l’échelle nationale.