Les jeux de l’amour et du hasard dans la nature

Auteur : Daniel Giraudon / décembre 2016
À entendre les anciens parlers du temps de leur enfance à la campagne, les fillettes semblent avoir été très tôt soucieuses de connaître leur destin amoureux. C’est sans doute encore vrai aujourd’hui mais, autrefois, c’est avec la complicité de la nature qu’elles trouvaient des réponses à leurs interrogations.

Alors on pense immédiatement à celles qui effeuillaient la marguerite en disant au fur et à mesure :

Marguerite
À la fleur petite,
Verte au pied, rouge autour
Cherche où sont mes amours :
Je t’aime,
Un peu,
Beaucoup,
Passionnément,
A la folie,
Pas du tout. 

Le dernier pétale détaché donnait la réponse. Sur le même principe, d’autres pointaient le doigt sur chaque épine d’une feuille de houx en récitant : Fille, femme, veuve, religieuse. Il était une autre variante révélatrice d’une conscience des divisions sociales : Reine, princesse, paysanne, servante, voleuse ! Le verdict était donné par le dernier piquant sur lequel on posait le doigt.

Souffler sur le pissenlit et faire un vœu. © Daniel Giraudon

Pour rester dans ce même domaine des passions juvéniles, on avait encore recours au pissenlit en graine. Si l’on parvenait à faire s’envoler toutes les graines en soufflant sur la houppe blanche, on pouvait faire un vœu. En cas d’échec, la quantité de plumets restants indiquait le nombre de jours au bout desquels le vœu se réaliserait. Pour les petites filles qui rêvaient de prendre époux, ils marquaient les années qui restaient à patienter avant le mariage ou encore le nombre de galants à venir. Le chant du coucou au printemps répondait à la même inquiétude. Autant d’appels sonores, autant d’années à attendre.

Le jet d’un pépin de pomme propulsé devant soi après avoir été pressé entre le pouce et l’index donnait le nom de la commune où l’on allait trouver son futur amoureux. En Basse-Bretagne cette pratique était accompagnée d’une comptine :

Hadenn aval, lavar din
E peseurt bro e timezin
Pe en Ploubêr, pe en Tregrom
Pe er gêr e ti ma momm ?
Pépin de pomme, dis-moi
En quel pays je me marierai
À Ploubezre ou à Trégrom
Où chez moi au pays de ma mère ?

En Haute-Bretagne, on regardait la position de la pointe du pépin après l’avoir agité plusieurs fois dans les mains fermées, en récitant cette petite rime :

Pépin, pépin, tourne ‘ta, vire ‘ta,
Par où le pépin tournera, le galant sera.

Les garçonnets avaient d’autres façons bien à eux de procéder aux approches amoureuses, notamment en taquinant les jeunettes. Là encore, la nature leur fournissait les éléments nécessaires pour atteindre leur but.

Capitules de bardane – © Daniel Giraudon

C’était d’abord une offensive à distance avec jet de lianes de gaillet-gratteron (spegerez en breton, paissâ en gallo) dans le dos des fillettes ou encore des boules de bardane (paourentez-pouesses), qui restaient accrochées sur les vêtements ou s’emmêlaient dans les cheveux longs des fillettes. Cette sorte de chardon gratteur s’accrochait si bien que c’était le diable pour s’en débarrasser.

S’enhardissant, les garçons glissaient subrepticement dans la manche en laine des gilets féminins une sorte d’épi d’orge, orge des rats, qui, à chaque mouvement du bras, remontait tout seul jusque sous l’aisselle, d’où ses noms de ramoneur ou voyageur en gallo et skrap-d’al-laez (grimpe en haut) en breton. Cela en dépit des mises en garde des parents qui prétendaient que c’était dangereux et que ça pouvait pénétrer jusqu’au cœur !

Fruit de l’églantine contenant le poil à gratter - © Daniel Giraudon

Les garçons faisaient encore plus souffrir les filles en leur mettant dans le cou le poil à gratter des cynorrhodons de l’églantier, ces graines couvertes de soies fines et raides vulgairement appelées gratte-cul, bœu(f) en gallo, roz-amgroaz en breton. Comme chacun sait, dans ces affaires-là il n’est pas de roses sans épines : War lerc’h ar roz e teu an amgroaz.

On se souvient encore de bien d’autres taquineries de ce genre, comme faire croire aux fillettes qu’on allait leur fabriquer un panier. On choisissait deux tiges d’herbe munies d’un beau panache de graines, par exemple de l’avoine à chapelets (onkl en breton, patenôtes en gallo). Le garçon les plaçait en croix entre les dents de sa victime, puis tirait sur les tiges brusquement de chaque côté vers l’extérieur. Les graines s’engouffraient alors entre les dents de la petite naïve.

Enfin, avec le jeu du : « Ferme les yeux et ouvre la bouche », elles étaient moins volontaires et il fallait ajouter une rime pour piquer leur curiosité :

Serret ho taoulagad ha digorit ho peg
A welfet Touboulig bihan c’haloupat e wreg.
Fermez les yeux et ouvrez la bouche
Vous verrez le petit Touboulig courir après sa femme.

Qui était ce Touboulig ? Mystère ! Restait à savoir l’effet de cette dernière taquinerie sur le cœur de la fillette.

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Auteur : Daniel Giraudon, « Les jeux de l’amour et du hasard dans la nature », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 7/12/2016.

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