Le breton, langue de Basse-Bretagne

Auteur : Nelly Blanchard / mars 2018
Langue de Basse-Bretagne depuis plus de quinze siècles, parlée par plus de 90 % de la population au début du XXe siècle, le breton connaît aujourd’hui un net recul de sa pratique (13 %), un attachement fort (80 % pour sa préservation) et une visibilité des revendications en sa faveur. Comment expliquer cette situation ? Quelles sont les grandes étapes de l’histoire de la pratique du breton ?

Naissance et oralité

On n’a pour ainsi dire aucun renseignement sur la/les langue(s) pratiquée(s) en Armorique avant la première celtisation protohistorique et sur les processus linguistiques lors de cette acculturation, si ce n’est qu’une forme de gaulois y était parlée. Puis la conquête romaine (-51 à 300 env.) ne signifie pas une latinisation de la population entière, mais une pratique du latin par les élites de l’administration. L’affaiblissement progressif de la présence romaine sous le bas-empire se double de l’arrivée de troupes supplétives de Grande-Bretagne au Ve siècle, puis d’un courant migratoire plus important, sur deux siècles environ, d’une partie de la population de Grande-Bretagne fuyant entre autres les Scots d’Irlande. Alors que l’Armorique devient la Bretagne, cet apport brittonique se mélangeant au gaulois de manière plus ou moins importante selon les régions fait naître le breton. Aux Xe-XIIe siècles, une partie des élites civiles et religieuses ayant fui la Bretagne pendant les attaques normandes rapportent des traits linguistiques des parlers d’oïl.

Les deux voies d’accès à ce vieux breton sont les recueils de mots, disséminés le plus souvent sous forme de gloses, dans des manuscrits latins, et certains anthroponymes et toponymes conservés jusqu’à nos jours et témoignant de l’organisation de la Bretagne (plou-, loc-, lan-, etc.). Jusqu’au XVe siècle, on imagine que la pratique orale du breton s’étend à presque toute la population ; en revanche le breton n’est pas une langue de culture écrite : aucun texte suivi n’a été retrouvé, les gloses témoignent du caractère secondaire de la langue dans ce domaine, le latin joue largement et durablement le rôle de langue des échanges culturels dans toute l’Europe, et le français est très vite adopté par les plus hautes élites politiques bretonnes comme les ducs.

Langue de culture écrite : XVe-XIXe siècle

Une pratique littéraire écrite religieuse du breton voit le jour au XVe siècle, sous forme de mystères et poèmes mystiques inspirés des grandes valeurs et modèles véhiculés par l’Église et versifiés d’une manière particulièrement complexe. Ces textes témoignent d’une révolution sociolinguistique liée à un mouvement d’aspiration culturelle d’une couche de la population au pouvoir grandissant : la bourgeoisie urbaine et en particulier celle des ports qui voient leur poids économique augmenter. N’étant pas formée au latin et au français, elle sollicite la production d’une littérature en breton auprès du clergé catholique (ordres mendiants).

Une page tirée du manuscrit de la Vie de sainte Nonn, vers 1443 à 1457.

Puis, lorsque cette bourgeoisie urbaine accède au français et au latin comme la noblesse urbaine dont le statut l’attire, cette pratique spécifique cesse progressivement. À partir des XVIIe et XVIIIe siècles, une nouvelle couche sociale voit son poids économique et son pouvoir social et politique croître : une aristocratie-paysanne (julots) alliée à la noblesse rurale. Ses aspirations culturelles se développent au croisement de sa formation classique dans les collèges jésuites (français, latin) et de sa volonté de médiation avec la population rurale bretonnante dont elle provient. C’est donc encore majoritairement le clergé catholique et ses relais biculturels qui tiennent les rênes de ce breton cultivé, même si quelques nobles ruraux cultivent un breton mondain à distance de ce cadre religieux et alors qu’apparaissent les premiers travaux lexicographiques. Les classes basses de la population – les plus nombreuses – parlent breton, sont très majoritairement analphabètes, mais ont accès à une partie de cette culture religieuse en breton par l’oral.

Cantiquou spirituel da beza canet er catechismou, ha lechiou all gant an christenien, composet bet a nevez gant un tat eux à Compagnunez Jesus  gant M. Machuel (Quemper Caurentin), 1642  - BnF, département Réserve des livres rares, RES-YN-15

 

Révolution : prémisses de la diglossie

La période révolutionnaire oscillant entre propagation de l’esprit citoyen, unification nationale et remise en cause des ennemis politiques qui détiennent le pouvoir sur la culture et l’instruction, marque l’essai manqué d’une alternative bretonnante à la culture religieuse. Dès 1789 et pendant plusieurs années, des textes officiels et de soutien au mouvement réformateur sont traduits en breton, faisant de la langue un outil politique et polémique dont s’emparent également rapidement des réfractaires bretons. Cette pratique nouvelle est surtout le fruit de ce corps rural intermédiaire et bilingue. Mais la radicalisation de la Révolution à compter de 1791 produit des effets opposés au premier mouvement : cette couche intermédiaire est écartée de tout rôle politique, affaiblissant peu à peu la propagation de l’esprit révolutionnaire en breton écrit ; la fermeture des collèges jésuites prive une partie de cette jeunesse de formation intellectuelle ; la lutte contre la mainmise du clergé sur la culture et l’instruction ne passe plus par l’emploi de la langue des citoyens, mais par un projet d’instruction générale et d’unification linguistique nationale au détriment des langues régionales.

La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen en breton - Andreo ar Merser, 1789 hag ar brezoneg, Brest, Brud Nevez-Emgleo Breiz, 1990, t. II, p. 127-129

À la sortie de la Révolution, une partie de la noblesse rurale ne cultive ou ne connaît plus le breton, mais bénéficie d’une formation classique au latin et au français, alors qu’une autre partie le connaît mais n’a plus accès à une formation classique. La répartition fonctionnelle du français et du breton, et la disparition de ce bloc social biculturel sont les prémisses de la diglossie à venir. Le XIXe siècle témoigne de cette lente évolution linguistique : la pratique orale populaire (quotidienne, littéraire orale) traverse tout le siècle jusqu’à la Grande Guerre sans connaître trop de bouleversements ; la pratique culturelle écrite par le clergé, après une période troublée, reprend sa place première ; la pratique du français se fait de plus en plus fréquente au sein des élites rurales ; une pratique apprise, raisonnée et combative naît au sein d’une couche peu nombreuse de la population attachée, pour diverses raisons politiques, à la défense du breton.

Breuriez ar breizouneg s’engage à protéger, défendre et honorer la langue de Basse Bretagne, premier langage de notre pays… - Fonds Théodore Hersart de La Villemarqué. Copie numérique CRBC, cote LV15.087

XXe siècle : vers la fin de la pratique héritée

Au XIXe siècle, la connaissance du français grandit au sein des couches populaires : démocratisation de l’instruction (en français), participation de plus en plus large aux institutions électorale et militaire, attrait pour la fonction publique, etc. Entre les deux guerres, le français commence à être utilisé en chaire et dans les relations formelles. Cette situation de diglossie tend à renvoyer le breton aux relations paritaires (avec des proches) et le français aux relations disparitaires (avec les personnes que l’on ne connaît pas), et ces pratiques sont attachées à des représentations parfois vécues comme stigmatisantes :

  • rural contre urbain
  • paysan contre citadin
  • passé contre moderne
  • privé contre public
  • oral contre écrit
  • local contre universel.

Dans les années 1950-1970, les adultes bretonnants cessent de transmettre le breton à leurs enfants. C’est la fin de la pratique familiale généralisée, par l’effet cumulé de ces représentations, du développement de la scolarisation en collèges ruraux (internat), de l’aspiration aux études supérieures, de l’urbanisation des modes de vie et du rejet de la société traditionnelle, du développement très important des médias en français, etc. C’est également la fin de la pratique sociale religieuse : la réforme liturgique de 1963 profite au français au détriment du breton.

200 ans de revendications et de pratiques militantes

Comme par effet de miroir inversé à la diminution de la pratique sociale du breton, des revendications en faveur du breton se sont exprimées depuis le premier tiers du XIXe siècle, puis de manière plus intense au XXe siècle et avec le soutien des pouvoirs publics au XXIe siècle. Elles concernent les questions de :

  • transmission : apprentissage scolaire, formations intensives, mais aussi médias, et plus récemment reconquête de l’espace privé avec encouragement à la pratique familiale, petite enfance, camps de vacances ;
  • légitimité : statut de la langue (officialité, charte des langues minoritaires) et culture écrite militante (normalisation linguistique, travaux lexicographiques, littérature avec éditions, prix, traductions) ;
  • visibilité : signalétique et supports de communication bilingues, breton comme levier symbolique et marketing de promotion d’entreprises ou du territoire breton dans sa totalité (au-delà de la Basse-Bretagne)…

La situation actuelle est complexe : les Bretons se disent aujourd’hui très majoritairement attachés au breton (patrimoine), les bretonnants le pratiquant quotidiennement sont âgés (pratique populaire héritée) et de moins en moins nombreux, et les revendications pour la défense de la langue se multiplient (pratique nouvelle, parfois idéologique, parfois symbolique).

Manuel de breton rédigé par Per Denez - collection particulière

CITER CET ARTICLE

Auteur : Nelly Blanchard, « Le breton, langue de Basse-Bretagne », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 5/03/2018.

Permalien: https://bcd.bzh/becedia/fr/le-breton-langue-de-basse-bretagne

Bibliographie

  • Broudic Fañch, La pratique du breton de l’ancien régime à nos jours, Rennes, PUR, 1995.
  • Broudic Fañch, Parler breton au XXIe siècle, Brest, Emgleo Breiz, 2009.
  • Calvez Ronan, « Une histoire sociolinguistique du breton », Finistère. Encyclopédie Bonneton, Paris, Bonneton, 2003, p.144-159.
  • Hornsby Michael, Vigers Dick (dir.), International Journal of the Sociology of Language, Breton : the post-vernacular challenge, 223, 2013.
  • Le Berre Yves, Le Dû Jean, « Parité et disparité : sphère publique et sphère privée de la parole », La Bretagne Linguistique, 10, p.7-25.
  • Bibliographie sur la langue bretonne [pdf]

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Proposé par : Bretagne Culture Diversité