Quand les femmes prennent la parole !
Les mutations et les mouvements sociaux que connaît la Bretagne dès les années 1950 favorisent une prise de conscience politique et un engagement militant. Le féminisme de la région est héritier des mobilisations de Mai 1968, de la diffusion des idées des groupes d’extrême gauche et des mutations sociales et politiques locales (implantation de la gauche sur le plan politique, dynamisme des syndicats et des luttes ouvrières, transformation du monde rural, développement des universités…). Les idées féministes circulent entre les États-Unis et la France mais aussi entre la Bretagne, Paris et d’autres régions.
Une autre révolution est en marche, celle de la « révolution sexuelle ». La jeunesse issue du baby-boom remet en question le modèle du couple. La sexualité se libère, elle devient moins taboue. Le slogan féministe « Le privé est politique » est le marqueur d’une libération de la parole qui rend audibles les revendications liées à la diffusion de la contraception, à la légalisation de l’avortement ainsi qu’aux questions des violences et, plus tardivement, de l’homosexualité.
La bataille pour l’accès à la contraception et la légalisation de l’avortement
De nombreuses réformes sur le plan de la contraception et des droits des femmes sont menées dès la fin des années 1960. La loi Neuwirth autorise certes la contraception sur prescription médicale en 1967, mais les décrets ne sont véritablement appliqués qu’à partir de 1973. En 1970, la « puissance paternelle » est remplacée par « l’autorité parentale ». Trois ans plus tard l’éducation sexuelle est autorisée à l’école.
L’avortement est légalisé provisoirement en 1975, puis définitivement en 1979. L’accès aux méthodes contraceptives et à l’information sexuelle n’est pas une revendication née de Mai 1968. Des groupes du Mouvement français pour le planning familial apparaissent entre 1961 et 1965 en Ille-et-Vilaine, dans les Côtes-du-Nord, le Finistère, le Morbihan et en Loire-Atlantique. Des féministes finistériennes témoignent, notamment dans le film Les Chevalières de la table ronde (réalisé par Marie Hélia en 2013), de la nécessité d’espacer les naissances, de diffuser l’information, d’aider les femmes à avorter en les envoyant vers la Hollande puis l’Angleterre. De Rennes à Nantes, des femmes s’engagent à Choisir ou dans des groupes du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception). Ce mouvement pratique des avortements clandestins par la méthode Karman, principalement entre 1973 et 1975.
Mais les résistances sont également très vives. L’association Laissez-les-Vivre, fondée en 1971, s’oppose à l’avortement de façon très active. Après 1975, de nombreux médecins invoquent la clause de conscience et se refusent à pratiquer l’avortement. La pression sur les femmes est forte et les militant.e.s s’organisent pour qu’il y ait des centres de planification partout et que l’IVG (interruption volontaire de grossesse) soit pratiquée dans de bonnes conditions. Le 6 octobre 1979, à Brest, les militant.e.s du Planning familial, de Choisir, du MLAC ainsi que des « groupes femmes » se retrouvent pour manifester en faveur du droit à l’avortement car les lits manquent à l’hôpital. Pour les habitantes de certaines petites villes comme Vitré, Fougères, Loudéac ou Saint-Malo, il est encore difficile voire impossible de se faire avorter sur place.
Se réunir entre femmes et faire le procès du patriarcat
Partout en Bretagne apparaissent des « groupes femmes ». Ce sont des espaces non-mixtes de discussion. Les hommes n’y sont donc pas admis, contrairement au MLAC, à Choisir ou au Planning familial. On y parle sexualité, violence, on s’interroge sur la répartition du travail domestique, le rapport aux hommes dans le monde du travail, la maternité. Ces femmes se rendent compte que leurs expériences sont vécues par d’autres et que ce qu’elles vivent fait partie d’une réalité commune. Rompre l’isolement et « se découvrir des milliers » (paroles de l’hymne du Mouvement de libération des femmes) leur permet de mettre au point des stratégies et des actions collectives.
Le film Clito va bien, réalisé en 1979 par le Groupe Femmes de Quimper et le Planning familial de Brest, montre des féministes qui questionnent et s’emparent d’un savoir sur le corps féminin : une femme découvre son col de l’utérus à l’aide d’un speculum et d’un miroir, une autre apprend les gestes pour détecter une éventuelle masse anormale au niveau des seins. Par une meilleure connaissance de leur corps, les femmes deviennent davantage maîtresses de leur plaisir, de leur accouchement et remettent en cause le pouvoir et le rapport vertical aux hommes et au corps médical. Les « groupes femmes » disparaissent au début des années 1980 mais les féministes de cette « deuxième vague » continuent leurs engagements au Planning familial et dans d’autres associations, en politique ou à l’université.