Un phénomène de violence politique : le FLB et l’ARB (1966-2000)

Auteur : Erwan Chartier / octobre 2019
C’est dans un contexte mondial de décolonisation, de développement des luttes de libération nationale et de contestation parfois violente du système démocratique parlementaire occidental, que naissent en Bretagne, au début des années 1960, le Front de Libération de la Bretagne (FLB) et l’Armée républicaine bretonne (ARB), groupe dont le R allait se transformer en « révolutionnaire » durant la décennie suivante. Avec des effectifs non négligeables – plusieurs centaines de membres en quarante ans –, mais sans produire une idéologie cohérente, les FLB-ARB réussissent cependant à médiatiser un certain malaise breton.

La tentation de la violence

En matière de « lutte armée », la Bretagne peut se prévaloir d’une certaine antériorité par rapport à d’autres régions françaises, puisque le premier attentat a lieu en 1932. Cette année-là, le groupe nationaliste Gwenn-ha-du (« noir et blanc », les couleurs du drapeau breton), fait sauter, à Rennes, le monument symbolisant l’union de la Bretagne à la France.

Au sein du mouvement breton, la tentation de la violence politique se fait véritablement de plus en plus forte à partir de 1964. Le Mouvement pour l’organisation de la Bretagne est alors en proie à une importante crise interne, qui aboutit au départ d’un bon nombre des jeunes militants pour fonder l’Union démocratique bretonne, parti résolument à gauche.

Pour les jeunes nationalistes du MOB, la défense de la Bretagne, « les armes à la main », apparaît comme une nécessité et un moyen efficace pour développer la lutte politique. Ils ont pour modèle les Irlandais de l’Irish republican army (IRA) ou encore les Québécois du Front de libération du Québec (FLQ).

Les premiers attentats

Le sigle FLB apparaît pour la première fois sur un engin incendiaire placé dans les sous-sols de la perception de Saint-Brieuc le 18 juin 1966. L’ARB, elle, entre en scène le 13 juillet 1967 en détruisant un relais téléphonique transcontinental à Vigneux-de-Bretagne. Constitué d’abord de groupes indépendants, le mouvement s’unit et se dote d’un « État-major » et d’un Kuzul meur, ou « grand conseil » politique.

Cachet du FLB. Collection privée Erwan Chartier.En janvier 1968, cinq bâtiments administratifs sont pris pour cible, essentiellement de perceptions d’impôt. Surtout, l’organisation « fête » son vingtième attentat de la manière la plus spectaculaire qui soit en s’attaquant à la caserne de la CRS 13 de Saint-Brieuc, dans la nuit du 28 au 29 avril 1968. De 1966 à la fin 1968, une quarantaine d’attentats matériels sont perpétrés en Bretagne. Mais ce premier FLB-ARB est rapidement démantelé par la police à la fin de 1968 et au début de 1969.

La présence d’ecclésiastiques parmi les prévenus, comme celle de membres de toute la société, interpelle l’opinion et inquiète le pouvoir gaulliste. « Curés, paysans, étudiants : on était tous là, résume Ronan Kerhousse. En prison, on était la Bretagne ! » Une certaine solidarité s’organise avec la création de l’association Skoazell Vreizh (« Secours breton »). Maintenus plusieurs mois en détention à la prison de la Santé, les militants bretons sont de plus en plus embarrassants au fur et à mesure de l’évolution de la situation politique. Elu Président de la République, Georges Pompidou règle le problème en amnistiant les prisonniers.

Un deuxième FLB « légal »

On retrouve plusieurs anciens détenus dans la création du deuxième FLB, dit « légal » car officiellement déclaré en préfecture en 1970. Rassemblant de fortes personnalités aux parcours divers, ce nouveau front, très marqué à gauche, n’a qu’une existence éphémère tant les contradictions internes y semblent indépassables et les problèmes d’ego importants.

Sa seule véritable action consiste à organiser un meeting à la Mutualité de Paris le 5 novembre 1969. Ce soir-là, deux mille personnes écoutent un étonnant aréopage d’orateurs (l’abbé Lebreton de Gomenec’h, le père Jean Chardonnel, le docteur Guy Caro, militant au Parti socialiste unifié, le journaliste britannique Peter Berresford Ellis, l’ancien membre du Comité central du Parti communiste français Jean-Pierre Vigier…) disserter sur le thème du socialisme breton derrière une banderole proclamant : « De Nominoë au FLB en passant par Ho Chi Minh et le Che ».

Après l’attentat contre la Cité administrative à Vannes, en juillet 1975 (détail). Archives municipales de Vannes.À partir de 1971, de nouveaux attentats sont perpétués sous diverses appellations : « FLB-Armée républicaine bretonne », « FLB 1 », « FLB-Armée révolutionnaire bretonne », « Commandos forces paysannes bretonnes ». Certaines bombes sont également déposées par des individus isolés et indépendants de toute organisation.

En 1972, le procès de onze militants devant la Cour de sûreté de l’Etat, à Paris, est l’une des grandes réussites médiatiques du mouvement breton dans cette période. Rapidement, les débats ne tournent plus autour des actes commis, mais des causes qui ont poussé ces militants à rentrer dans la clandestinité. Grève du Joint français, remembrement, problèmes agricoles, bétonnage des côtes, désertification et exode rural, questions institutionnelles : on assiste en fait à la mise en accusation du centralisme républicain et de l’action de la France en Bretagne. Les prévenus écopent de peines légères et sont libérés à l’issue du procès.

Développement de la violence politique (1974-1978)

Alternant répression et amnistie, le pouvoir politique français ne sait pas comment gérer le « problème breton », et plus généralement, la « contestation régionaliste » qui se développe de manière pacifique en Occitanie, plus ou moins violente au Pays Basque français et, surtout, de manière explosive en Corse. Le 30 janvier 1974, un décret est voté en conseil des ministres pour dissoudre le FLB-LNS, le FLB-Armée républicaine bretonne, ainsi qu’un mouvement corse (Front populaire corse de libération) et un autre basque (Embata). Une centaine de militants bretons sont ainsi interpellés dans le cadre de l’opération Sultan IV, en octobre 1975. Le FLB-ARB réagit de manière ferme à sa dissolution. Dans la nuit du 14 au 15 février 1974, les clandestins détruisent le pylône émetteur de Roc’h-Trédudon, dans les monts d’Arrée. Les téléspectateurs de Basse-Bretagne sont privés des programmes télévisés de l’ORTF pendant plusieurs semaines.

Caricature de Serj Pineau (détail), droits réservés.L’attentat très médiatique de Roc’h-Trédudon marque également un changement d’époque. Désormais, le FLB-ARB « révolutionnaire », marqué à l’extrême gauche, prédomine. Les bombes se multiplient jusqu’en 1978. Plus d’une cinquantaine d’attentats matériels sont perpétrés en Bretagne cette année-là.

Certaines opérations sont spectaculaires comme, dans la nuit du 8 août 1974, sur le tarmac de l’aéroport de Quimper, la destruction partielle d’un Fokker 27 de cinquante-deux places qui assurait la liaison avec Paris. Des dizaines de bâtiments publics sont pris pour cibles. Mais, parmi les objectifs, on compte aussi des entreprises liées au remembrement agricole ou aux marées noires. Dans la liste des attentats les plus spectaculaires, on relève celui qui endommage une aile du château de Versailles, le 25 juin 1978. Les dégâts sont minimes, mais l’effet médiatique est maximum.

Un « grand flic breton »

Si, dans l’ensemble, les poseurs de bombes semblent prendre des précautions, les risques encourus sont néanmoins réels. C’est le cas, le 30 septembre 1976, lorsqu’un jeune militant du FLB, Yann-Kel Kernaleguen, saute avec l’engin qu’il était en train de poser au camp militaire en construction de Ti Voujeret, à Châteaulin. Cependant à partir de 1978, la police judiciaire fait tomber un à un les réseaux. À la tête de l’antenne régionale, on trouve un « grand flic » d’origine bretonne, Roger Le Taillanter, qui applique aux clandestins bretons les méthodes éprouvées dans la lutte contre le grand banditisme : recherche de renseignements, filatures, écoutes, flagrants délits… Grâce à son action, une quarantaine d’activistes sont incarcérés en 1979 et l’organisation est moribonde, ce qui n’empêche pas un commando de faire sauter, en plein jour, la villa du commissaire à Bréhec, le 30 mai 1979.

Hommage à Yann-Kel Kernaleguen, le premier mort du FLB, dans le cimetière de Kerfeunten, à Quimper, en septembre 2006. Cliché Erwan Chartier.En corollaire des arrestations, les procès se succèdent à la fin des années 1970 et les condamnations par la Cour de sûreté de l’État se font de plus en plus lourdes. Ces procès sont aussi une occasion de médiatiser les problèmes bretons, d’autant que des personnalités connues témoignent en faveur des militants bretons, à l’instar du général de Bollardière, d’Haroun Tazieff, de Louis Le Pensec ou de Michel Rocard.

La dernière vague ?

La victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle de mai 1981 change la donne. Le nouveau président bloque le projet de centrale nucléaire à Plogoff, supprime la Cour de Sûreté de l’État et amnistie les prisonniers politiques. Le nouveau pouvoir annonce également des lois de décentralisation et la mise en place de conseils régionaux élus au suffrage universel. Des mesures qui semblent, dans une certaine mesure, calmer momentanément la mouvance radicale bretonne. Cette dernière tente alors de se structurer et de s’investir dans d’autres champs de lutte, plus officiels cette fois. Un parti, Emgann (« combat ») indépendantiste et socialiste autogestionnaire est créé en 1983. À la même époque est lancé Stourm ar Brezhoneg, (« le combat de la langue bretonne ») qui, à coups de barbouillages de panneaux, entend obtenir la mise en place d’une signalisation routière bilingue.

En 1983, les attentats reprennent et sont désormais revendiqués par l’Armée révolutionnaire bretonne. L’ARB s’en prend à des bâtiments administratifs, mais également à des antennes de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) ou des agences d’intérim. Les militants semblent moins bien formés, puisque, en 1984, l’un d’entre eux est gravement blessé à Sarzeau (Morbihan) alors qu’il prépare un attentat. En 1985, un autre membre de l’ARB, Christian Le Bihan, trouve la mort alors qu’il dépose un engin explosif devant le tribunal de Guingamp, ce qui met un sérieux frein à l’action des clandestins bretons.

Des Bretons aux Basques

Sporadique, la violence cesse totalement entre 1990 et 1992 sur demande de l’organisation ETA, en raison de la présence de nombreux réfugiés et clandestins basques en Bretagne. À partir de 1992, les dizaines d’arrestations de personnes accusées d’avoir hébergé des clandestins basques radicalisent cependant une partie de la jeunesse militante bretonne. La violence politique reprend en 1993 sous l’impulsion d’une nouvelle génération d’activistes encadrés par des « anciens » des années 1970. Une quarantaine d’attentats sont alors commis en sept ans. Certains sont très médiatiques, comme ceux contre la cité judiciaire de Rennes (1996), la mairie de Belfort du ministre de l’Intérieur de l’époque, Jean-Pierre Chevènement (1998), ou la perception de Cintegabelle, fief du Premier Ministre Lionel Jospin (1999). Mais ces actions ne suscitent que quelques lignes dans les éditions départementales des quotidiens bretons. Il est vrai qu’entre 1998 et 2000, la moitié des engins n’a pas explosé.

Graffiti en l’honneur de l’ARB, fin des années 1990. Cliché Erwan Chartier.En octobre 1999, un commando de militants bretons et basques dérobe huit tonnes d’explosifs à Plévin, en centre Bretagne. Cet explosif sert contre l’attaque meurtrière du McDonald’s de Quévert, le 19 avril 2000, où une jeune femme, Laurence Turbec, trouve la mort. L’événement provoque une vive réaction en Bretagne. Depuis Quévert, la violence politique semble beaucoup moins séduire les militants radicaux bretons. L’ARB ne communique plus depuis l’automne 2000, date à laquelle elle a restitué des explosifs au juge antiterroriste Gilbert Thiel. Elle n’a pas annoncé sa dissolution et il est encore trop tôt pour affirmer qu’elle a disparu.

Incontestablement, les années 2000, ont marqué une période de déclin de la violence politique en Bretagne, à mettre en parallèle avec celui observé en Corse, en Irlande ou au Pays basque qui fournissent en général une source d’inspiration aux mouvements radicaux bretons.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Erwan Chartier, « Un phénomène de violence politique : le FLB et l’ARB (1966-2000) », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 3/10/2019.

Permalien: https://bcd.bzh/becedia/fr/un-phenomene-de-violence-politique-le-flb-et-l-arb-1966-2000

BIBLIOGRAPHIE

 

  • Chartier Erwan et Cabon Alain, Le Dossier FLB - Plongée chez les clandestins bretons, Spézet, Éditions Coop Breizh, 2006.
  • Caerléon Ronan, Les Bretons le dos au mur: le FLB devant la Cour de Sûreté de l'État, Paris La Table Ronde, 1973.
  • Bonnet Marie-Pierre, Bretagne 79: des années de poudre, Carhaix, Ed. Egina, 1989.
  • Henry Lionel et Lagadec Annick, FLB-ARB : L'Histoire 1966-2005, Fouesnant, Yoran Embanner, 2006.
  • Documentaire Les années FLB, écrit et réalisé par Hubert Béasse (2013). Durée : 1h45. Coproduction Vivement lundi ! / France Télévision (participation de la chaîne Histoire, partenariat avec l'INA). Conseillers éditoriaux : Lionel Henry, auteur de FLB-ARB : L'Histoire 1966-2005, et Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS et professeur à l'IEP de Rennes.

Proposé par : Bretagne Culture Diversité