La République française ne reconnaît pas les groupes culturels et linguistiques
Tout d’abord, le processus engagé depuis l’Ancien Régime pour uniformiser les territoires de France sur un plan politique, culturel et linguistique construit la représentation d’une nation homogène. Ainsi, les groupes culturels et linguistiques, les minorités ethniques et religieuses ne sont pas reconnus en tant que tels par la République. Elle ne prend en compte que le citoyen dans le respect du principe d’égalité. Or le phénomène migratoire renvoie intrinsèquement à la pluralité, à la diversité ethnique, culturelle, religieuse. Pour faire face à cette pluralité – qui remet en cause l’idée d’une nation homogène – la République apporte comme « réponse » le projet dit « assimilationniste » : l’étranger en tant qu’étranger disparaît pour se fondre dans la « communauté des citoyens ». La société française finit par oublier qu’au fil du temps sa population s’est formée pour une part assez importante d’étrangers à tel point que plusieurs recherches aujourd’hui avancent l’idée qu’un Français sur quatre est issu de l’immigration. Les institutions de la République (l’école, l’armée) – mais aussi d’autres comme l’église, l’usine, le syndicat – ont occupé une place importante dans le projet assimilationniste, dans le processus d’homogénéisation culturelle des populations, qu’elles soient internes à la nation (cultures et langues régionales) ou extérieures (immigration étrangère).
L’immigration, un objet historique récent
Dans les années 1980, il devient de plus en plus évident que l’immigration n’est pas seulement une immigration de travail mais aussi de peuplement. L’historien Gérard Noiriel s’intéresse ainsi à l’histoire de l’immigration, aux apports des étrangers à la vie démographique, économique, sociale et culturelle de la France. En entreprenant au début de sa carrière une histoire du monde ouvrier dans son ensemble (y compris de fait l’histoire de l’immigration), il montre en creux pourquoi le phénomène migratoire est absent – et illégitime – de l’historiographie classique. Il souligne les enjeux, tant pour les immigrés que pour leurs descendants et la société française dans son ensemble, de l’émergence d’une « mémoire d’immigrés ». Ce sont les mobilisations citoyennes et associatives qui, dans les années 1990, impulsent dans le débat public une réflexion sur la création d’un lieu de mémoire de l’immigration. Il faudra attendre une quinzaine d’années pour que cette réflexion se concrétise et que voie le jour la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (aujourd’hui musée de l’Histoire de l’immigration), et encore sept ans pour qu’elle soit inaugurée…
Pas assez de migrants en Région Bretagne pour une reconnaissance de l’immigration
Concernant la Région Bretagne, le contexte est encore moins favorable à l’émergence d’une histoire de l’immigration, en raison tout d’abord de la faiblesse numérique du phénomène aujourd’hui. En effet, avec ses 93 325 immigrés en 2011, la Bretagne est l’une des régions les moins concernées par l’immigration. Les immigrés y représentent une toute petite part, à la fois de sa population (2,9 %) et de l’ensemble des immigrés présents sur le territoire français (1,6 %). Toutefois, si elle est un territoire faiblement touché par l’immigration, le nombre d’étrangers y a presque quintuplé entre 1975 et 2009, alors qu’au niveau national il n’a augmenté que de 9,7 % (notons que l’on part d’effectifs très faibles : 3 771 141 étrangers en France contre 57 256 en Bretagne en 2009). Comme ailleurs, la population immigrée a tendance à se concentrer dans les grandes métropoles, comme à Rennes où elle représente environ 8 % de la population.
Reconnaître l’immigration pour une Bretagne plurielle et ouverte
L’immigration en Bretagne existe bel et bien aujourd’hui. Mais elle est tantôt perçue comme ne posant aucun problème car les Bretons seraient plus accueillants et bienveillants que les autres, tantôt comme un sujet quasi tabou dont il ne faudrait pas parler de peur de créer un « appel d’air ». Cet argument est particulièrement présent depuis le début des années 2000 avec la présence accrue des demandeurs d’asile dans la région et la saturation du dispositif d’accueil.
Or, comme ailleurs, l’accueil des migrants et des demandeurs d’asile est un enjeu important, de même que l’intégration via l’apprentissage du français et la lutte contre les discriminations. Cette réticence à reconnaître pour le présent et pour l’avenir une immigration – certes numériquement faible mais structurante à l’échelle de la Bretagne et en constante augmentation – n’encourage pas à la penser au passé, à se questionner sur l’apport des immigrés à la société bretonne.
Il aura fallu l’opiniâtreté d’une poignée de chercheurs et de conservateurs du patrimoine, le soutien de l’État, de la Région et de la métropole rennaise pour que voie le jour l’exposition Migrations présentée au musée de Bretagne en 2013. C’est par une approche de la Bretagne en termes de mouvements de populations – ceux qui partent et ceux qui arrivent – que l’immigration a pu être ainsi mise au devant de la scène à Rennes, Brest et Saint-Brieuc. Puisse cette contribution à l’histoire de l’immigration en Bretagne faire des émules pour cheminer vers la reconnaissance d’une Bretagne ouverte et plurielle au présent, au passé et au futur.