Le réseau Johnny, précurseur de l’action clandestine

Auteur : Emmanuel Couanault / mars 2022
De mars 1941 au printemps 1942, le réseau Johnny a joué un rôle primordial dans le renseignement et l’action. Implanté dans le Finistère, il étend en quelques mois son activité entre Nantes, Rouen et Paris. Entre mars et juin 1942, cette organisation est anéantie par une série d’arrestations. Son rôle pionnier ne sera que tardivement reconnu.

Dès les premiers mois de l’Occupation, le littoral breton est un espace stratégique. Plusieurs navires de pêche réalisent des traversées clandestines de la Manche. Les candidats à l’évasion convergent vers les ports du Finistère. Le 31 octobre 1940, Robert Alaterre arrive en Angleterre, après 11 jours de dérive dans le gros temps sur la Petite-Anna, parti de Douarnenez. Le 16 décembre 1940, Jean Le Roux quitte Camaret à bord du langoustier l’Émigrant. La collecte de renseignements en zone occupée devient une priorité stratégique absolue pour l’état-major britannique. L’Intelligence Service recrute des équipages pour assurer des liaisons clandestines. Le général de Gaulle confie, en juillet 1940, l’organisation d’un service de renseignement au capitaine Dewavrin (« Passy »). L’idée d’une mission commune est rapidement évoquée, mais dans un contexte de méfiance réciproque. Les Britanniques ont pris la main, notamment sur le recrutement d’agents. Le 19 mars 1941, Alaterre et Le Roux sont débarqués sur une plage de Lampaul-Ploudalmézeau (Finistère). Munis de deux postes de radio, ils ont pour mission d’organiser la collecte de renseignements stratégiques et leur transmission vers Londres. Le 27 mars, Jean Le Roux établit à Quimper la première liaison clandestine durable depuis la zone occupée. Les Britanniques désignent ce réseau du nom de Jean Le Roux, le Johnny’s Group.

L’apprentissage du renseignement et de l’action clandestine

En l’espace de quelques mois, Alaterre et Le Roux parviennent à recruter des agents et à transmettre des renseignements par radio. Ils réussissent ainsi à informer Londres des mouvements et réparations de navires allemands à Brest (en particulier ceux des croiseurs Schnarhorst et Gneisenau) ou encore de la composition chimique du brouillard artificiel utilisé par les Allemands contre les bombardements aériens. Le Roux est plus particulièrement chargé des transmissions radio. Après quelques semaines à Quimper, il change régulièrement de lieu d’émission, trouvant notamment refuge dans des manoirs des environs. Le réseau Johnny joue aussi un rôle précurseur dans le cadre des opérations maritimes avec la Royal Navy permettant des liaisons clandestines et des transferts d’agents, de postes émetteurs ou d’argent, entre la France occupée et l’Angleterre. Des rendez-vous sont organisés de nuit au large des côtes bretonnes entre sous-marins britanniques et navires de pêche. Trois opérations sont ainsi montées, en juillet, septembre et novembre 1941. La dernière permet d’exfiltrer Robert Alaterre, probablement « brûlé », c’est-à-dire découvert par l’ennemi.

La traque, la destruction

En effet, l’Abwehr, le contre-espionnage militaire allemand, surveille dès 1940 le littoral breton et réussit à infiltrer les milieux liés aux filières d’évasion. L’été 1941 est marqué par plusieurs incidents. De possibles repérages goniométriques incitent Le Roux à recruter un opérateur à la hâte, et à installer un émetteur à Carhaix fin août 1941. Celui-ci est repéré et arrêté le 9 septembre. Alaterre et Le Roux se replient à Rennes et les émissions vers Londres reprennent. Fin novembre, Alaterre est remplacé par André Malavoy, jeune chef de 26 ans inconnu des autres membres. En quelques semaines, Malavoy développe le réseau à Paris et Rouen, recrutant, grâce à ses relations, agents et informateurs. Mais un violent conflit l’oppose rapidement à Le Roux et d’autres agents, qui rejettent sa légitimité et ses décisions. Début 1942, les alertes se multiplient. L’Abwehr a patiemment mené son enquête. La peur, la suspicion et la conviction de la présence d’un traître entraînent la désorganisation du réseau. Entre le 14 et le 16 février, les agents de la première heure ainsi que Malavoy sont arrêtés à Quimper et Concarneau. Dans les semaines suivantes, le réseau est démantelé dans le Finistère, à Rennes et Paris, alors que les conflits internes entraînent la rupture des liaisons avec Londres. Seuls quelques agents échappent à la traque, dont Jean Le Roux qui parvient à gagner Londres en mars 1943. Alors que la Résistance intérieure s’affirme partout, le réseau Johnny disparaît après douze mois d’une activité intense. Sur 197 agents homologués à la Libération, 53 sont tués, 60 déportés ou internés.

Une postérité difficile

Jean Le Roux décoré par le colonel de Kersauzon lors de l'inauguration de la plaque commémorative, le 8 mai 1955. (Le Grand Alain et Thomas Georges-Michel, Le Finistère dans la guerre, tome 1, éditions de la Cité, 1980)

Après-guerre, l’action reste en marge du grand récit gaulliste qui se met en place. Alors que la mission devait être menée conjointement par la France Libre et les Britanniques, l’Intelligence Service a globalement tenu Passy à l’écart. À leur retour à Londres, les fondateurs du réseau sont mal reçus par le BCRA, le Bureau central de renseignement et d’action. Cet équivalent des services secrets de la France Libre leur reproche d’avoir été des agents de l’IS. Malgré son homologation après la Libération, le rôle précurseur du réseau est peu reconnu. Cependant, le 8 mai 1955 à Quimper, une plaque commémorative est apposée sur la maison d’où est parti le premier message radio. L’inauguration a lieu en même temps que celles de la place Charles-de-Gaulle et de la rue d’Estienne-d’Orves. La cérémonie, rigoureusement réglée, réinsère l’épisode du réseau Johnny dans la geste gaulliste. La plaque elle-même témoigne de cette réappropriation. Cette cérémonie marque l’apothéose mémorielle du réseau dont l’histoire ne sera plus évoquée par la suite que de manière fragmentaire. Près de soixante ans plus tard, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, historien et ancien résistant, revient sur cet épisode, pour affirmer son importance ; « Robert Alaterre, héros efficace et discret, fondateur et animateur du réseau Johnny, injustement éclipsé par l’éclat du colonel Rémy, fut le premier agent de la France Libre qui […] établit une communication régulière par radio avec Londres. » Les agents du réseau Johnny furent des gens ordinaires qui ont dû apprendre, seuls et avec peu de moyens, les bases du renseignement et de la clandestinité. Ils ont payé un très lourd tribut à cet apprentissage de la Résistance.

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Auteur : Emmanuel Couanault, « Le réseau Johnny, précurseur de l’action clandestine », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 9/03/2022.

Permalien: http://bcd.bzh/becedia/fr/le-reseau-johnny-precurseur-de-l-action-clandestine

BIBLIOGRAPHIE

  • Albertelli Sébastien, Les Services secrets du général de Gaulle. Le BCRA 1940-1944, Paris, Perrin, 2009.
  • Bougeard Christian, La Bretagne de l’Occupation à la Libération, Presses universitaires de Rennes, 2014.
  • Couanault Emmanuel, Des agents ordinaires. Le réseau « Johnny ». 1940-1943, Locus Solus, 2016.
  • Passy (Colonel), Mémoires du chef des services secrets de la France Libre, Paris, Odile Jacob, 2000 (préface de Jean-Louis Crémieux-Brilhac).

Proposé par : Bretagne Culture Diversité