C’est probablement sur les conseils de sa femme, Yvonne Vendroux, épousée en 1921, que Charles de Gaulle passe au cours de l’été 1933 quelques jours de villégiature, comme on dit à l’époque, à Bénodet, dans le Finistère. Une célèbre photo nous le montre assis dans un transat, sur la plage, vêtu d’un complet strict et d’un chapeau de feutre, en compagnie de sa fille Anne, atteinte de trisomie. Là débute la longue histoire liant la péninsule armoricaine à celui qui n’est pas encore le Général.
La Bretagne dans la débâcle
De par sa situation géographique, la Bretagne est en juin 1940 un point de passage obligé pour Charles de Gaulle. Tout juste entré au Gouvernement en tant que Sous-secrétaire d’Etat à la Défense nationale et à la Guerre, après avoir été nommé quelques jours plus tôt général de brigade, il est à Rennes le 12 juin 1940 pour présider une importante réunion visant à mettre en place le « réduit breton ». L’idée de ce plan est simple : replier les forces françaises sur la péninsule armoricaine pour les transférer par la suite en Afrique du Nord et, de là, reconquérir le territoire, comme dans une sorte de redite du « miracle de la Marne survenu en septembre 1914.
Bien des détails de cette histoire particulièrement nébuleuse restent ignorés et le « réduit breton » attend encore que l’on écrive son histoire. Selon l’aide de camp du Général, Geoffroy Chodron de Courcel, « de Gaulle n’avait absolument pas dans l’esprit d’organiser la Bretagne en fort Chabrol – il était d’ailleurs trop tard pour le faire – mais d’installer le gouvernement à Quimper, d’où il aurait été conduit à bref délai à partir pour l’Afrique du Nord, soit directement, soit en transit pour l’Angleterre ». En réalité, si la Bretagne a alors un rôle aussi important, c’est qu’elle cristallise déjà les oppositions qui fracturent le Gouvernement : à Quimper, les partisans d’une cessation des combats, au premier rang desquels figure le maréchal Pétain, préfèrent un repli sur Bordeaux, comme à l’été 1914… mais aussi comme lors de la guerre de 1870.
Toujours est-il que le général de Gaulle retourne à Rennes le 15 juin 1940. En l’hôtel de Corbin, siège du commandement de la 10e région militaire, il rencontre le préfet ainsi que les généraux Guitry et Altmayer pour leur donner d’ultimes instructions relatives à l’organisation la défense de la péninsule armoricaine. Du chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine, Charles de Gaulle part à Carantec, dans le Finistère, où il retrouve pour quelques dizaines de minutes seulement sa femme et ses trois enfants. Puis il embarque à bord du Milan, un navire de guerre, pour Plymouth afin de gagner Londres. Là, il est informé d’un projet d’union franco-britannique, initiative refusée par la France. Le Sous-secrétaire d’Etat à la Défense rejoint alors Bordeaux et apprend, en plein vol, la chute du cabinet Reynaud et la désignation du maréchal Pétain pour former un nouveau Gouvernement : désormais sans portefeuille, Charles de Gaulle décolle quelques heures plus tard de l’aéroport de Mérignac et rejoint la capitale britannique. Pendant le vol, il survole Paimpont. Dans ce village d’Ille-et-Vilaine est réfugiée sa mère, Jeanne. Malade, elle meurt le 16 juillet 1940. Sur ordre des Allemands, sa tombe ne porte aucune inscription pour ne pas encourager à la Résistance. Mais jusqu’à la Libération, la sépulture est régulièrement fleurie par la population…
La Bretagne dans la Résistance
Contrairement à ce qu’avaient anticipé les alliés, la bataille de Normandie consécutive au débarquement du 6 juin 1944 est une lutte de chaque instant et la Libération du territoire s’effectue haie par haie. Ce n’est qu’à la fin du mois de juillet 1944, avec l’Opération Cobra, que les Américains parviennent à rompre les lignes allemandes et à pénétrer en Bretagne. En ligne de mire se trouve Rennes, première grande ville – à l’exception de Caen et Cherbourg, complètement détruites par les combats et les bombardements – à être inscrite à l’agenda de la Libération. Pour le général de Gaulle s’engage alors une course contre les colonnes blindées du général Patton, chevauchée dont l’objectif final est le 38 de la rue du Pré-Botté. Pour le chef de la France libre, contrôler les rotatives du journal L’Ouest-Eclair – dévoué depuis 1940 au régime de Vichy – est un enjeu de première importance : il s’agit en effet de devancer les Américains, mais aussi les communistes.
Signe de l’importance des événements qui se produisent alors en Bretagne, le général de Gaulle revient à Rennes le 21 août 1944 – 4 jours donc avant la Libération de Paris – pour y proclamer le rétablissement de la République. A la tête du Gouvernement provisoire de la République française, il retourne par la suite dans la péninsule armoricaine. C’est ainsi qu’en juillet 1945 il se rend au chevet de Brest, Lorient et Saint-Nazaire, villes dévastées par les bombardements. Quelques semaines après seulement après la capitulation du Reich, le Général entend reconstruire le pays.
Le Président
Mais ce long et complexe processus n’est pas qu’architectural et urbanistique. Pour le Charles de Gaulle, il est en effet indispensable de doter la France d’une constitution solide, texte qui empêche les errements des derniers mois de la IIIe République. Pourtant, les Français ne l’entendent pas de cette oreille et, ne parvenant pas à imposer ses vues institutionnelles, le chef du Gouvernement provisoire démissionne le 20 janvier 1946. C’est le début d’une longue « traversée du désert » ponctuée néanmoins de quelques escales bretonnes, comme sur l’île de Sein.
Revenu au pouvoir en 1958, en usant d’une rhétorique de « l’homme providentiel » qui passe une nouvelle fois par la péninsule armoricaine, Charles de Gaulle multiplie les déplacements en Bretagne. Sa présidence est en effet indissociable d’un certain nombre de grands chantiers qui consacrent un mouvement de modernisation impulsé en réalité dès le début des années 1950. Qu’il s’agisse du Radôme de Pleumeur-Bodou, de l’usine marémotrice sur la Rance ou encore de la base de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de l’Île Longue, les grands chantiers changent le visage de la péninsule. Mis sur cale en 1957, le paquebot France, construit au chantier naval de Saint-Nazaire, est lancé en grandes pompes le 11 mai 1960 par le Général, son épouse Yvonne étant la marraine de ce véritable emblème national. Le Président de la République voit dans ce « vaisseau » une « grande réussite » qui « fait hommage à la patrie, que ce soit sur terre, sous terre, sur mer ou dans les airs ». La « certaine idée de la France » qui caractérise la politique internationale du Général passe aussi par la Bretagne.
Il est vrai que l’homme du 18 juin peut s’appuyer dans la péninsule armoricaine sur un fervent réseau de soutiens hérités de la France libre – à l’instar de René Pleven à Dinan – ou patiemment construits pendant la « traversée du désert » – à l’exemple d’Olivier Guichard à La Baule. Ces liens expliquent-ils la popularité du général ? Toujours est-il que les Bretons, comme les Alsaciens du reste, renouvellent en avril 1969 leur soutien au Chef de l’Etat à l’occasion d’un référendum portant sur une réforme du Sénat et la création de régions. Mais à l’échelle nationale, le général de Gaulle est désavoué à 52,87% : mai 1968 est passé par là et le fondateur de la Ve République démissionne. Son décès quelques mois plus tard, le 9 novembre 1970, suscite un véritable émoi dans la population.