Un contexte européen
À la fin du XIXe siècle, dans toute l’Europe, les arts appliqués prirent une importance nouvelle pour des raisons idéologiques, économiques, culturelles et sociales liées aux bouleversements engendrés par l’essor de l’industrie. Dès sa naissance, en 1898, l’Union régionaliste bretonne s’en préoccupa et plus encore, à partir de 1911, la Fédération régionaliste de Bretagne, qui regroupait les champions des « petites industries rurales », tel Alfred Ely-Monbet, et des théoriciens du renouveau breton, comme François Vallée, bon connaisseur des arts and crafts societies initiées par William Morris.
L’idée bretonne rénovée
En 1912, la Chambre des députés avait formé le vœu, annihilé par la guerre, qu’une exposition internationale se tînt sur ce thème, à Paris en 1915. Mais en 1916 des régions des arts appliqués avaient été instaurées, dotées de comités chargés de les stimuler, si bien qu’aussitôt la paix revenue l’idée d’une grande manifestation fut reprise pour 1924, avec l’intention d’augmenter la représentation régionale déjà proposée lors de l’Exposition universelle de 1900. Cette perspective mobilisa de jeunes artistes installés à Paris, mais passionnés de la Bretagne, enthousiasmés de surcroît par la naissance d’un mouvement autonomiste exaltant à leurs yeux : le Groupement régionaliste breton, bientôt rebaptisé Unvaniez Yaouankiz Vreiz, éditeur de Breiz Atao, une feuille encore éloignée des idées radicales qu’elle en viendrait à défendre. Ce petit noyau regroupait la Loudéacienne Jeanne Malivel, le Nazairien René-Pierre (dit René-Yves) Creston et son épouse, Suzanne Candré, bientôt rejoints par le Nantais Georges Robin, familier comme eux des cours de breton du Cercle Celtique dispensés par Jean Caroff à la Sorbonne.
La révélation du Ty Breiz de 1925
En 1923, Jeanne Malivel décida de regagner la Bretagne, mais sans renoncer au projet d’une participation bretonne à l’Exposition, reportée à 1925. Elle retrouva René-Yves et Suzanne Creston en juillet à la grande troménie de Locronan, puis en septembre, au pardon du Folgoët. Pour le groupe qui allait s’étoffer, mais, elle y tenait, de manière très limitée, Jeanne Malivel proposa un nom tiré d’un conte qu’elle affectionnait, Les Sept Frères, qu’elle traduisit en breton : Ar Seiz Breur. On dressa donc la liste des artistes amis et des artisans que l’on connaissait, susceptibles de concevoir le pavillon breton, que le groupe imaginait alors prendre intégralement en charge avec le secours de l’architecte Georges Dommée. Pierre Abadie-Landel, Gaston Sébilleau et Christian Lepart vinrent ainsi gonfler la troupe, dont l’ambition de renouveler l’ordinaire breton en s’appuyant sur les savoir-faire traditionnels devait se prolonger au-delà de l’Exposition.
Mais une autre organisation avait pris corps dans le même but, appuyée sur les institutions qui comptaient, avec pour mentor le peintre Jean-Julien Lemordant alors au pinacle, personnification de la jeunesse brisée par la guerre. Dépourvus de financements et de réseau, les Seiz Breur ne pouvaient l’emporter. Toutefois, leur pugnacité fut telle et leurs esquisses si convaincantes qu’ils purent aménager l’Osté, grande salle commune installée dans le Ty Breiz. Mobilier, objets et décors : tout dans cette pièce leur était redevable. Leur contribution fut remarquée et récompensée. Pourtant, à peine écrite, une page déjà se tournait. En effet, Jeanne Malivel n’avait pas même visité le pavillon : récemment mariée et déjà minée par la maladie qui l’emporterait le 2 septembre 1926, elle avait pris ses distances.
Marasme et relance
Confiance et fierté retrouvées
Très différents d’âge, de discipline, de formation et de terrain d’intervention, ses membres n’adoptèrent jamais une ligne artistique partagée, même si, dans certains domaines, les arts graphiques spécialement, un « style » se dégagea. En fait, comme beaucoup de mouvements qui comptent dans l’histoire de l’art et des idées, l’UASB, autant que par la production de ses affiliés, vaut par les positions doctrinales qu’elle adopta, la dynamique qu’elle instaura et l’image de la Bretagne qu’elle donna. Ce résultat, parfois controversé aujourd’hui, fut considérable, démontrant que l’on pouvait adopter pleinement son temps, s’arracher aux campagnes et aimer la ville, sans pour autant se départir d’un héritage venant connoter l’entrée en modernité. Cette continuité et ses aboutissements furent d’autant plus méritoires, que le chemin fut cahoteux. Creston, qui fut l’homme-orchestre de l’UASB, ne cessa en effet de diversifier ses préoccupations, au-delà parfois du champ artistique, quitte à se disperser. Il eut cependant l’habileté nécessaire pour reprendre la barre et retrouver le cap dans les moments cruciaux. Le meilleur exemple en fut la réalisation du pavillon breton à l’Exposition internationale de 1937. D’abord simple délégué du Comité d’organisation sur la place de Paris, il sut se rendre indispensable à Octave-Louis Aubert, son président, introduisant les Seiz Breur dans les différents compartiments de la scénographie d’ensemble et recrutant les contributeurs principaux, qui ne l’étaient pas encore.
Les sirènes et le naufrage de la guerre
Diverses manifestations et publications firent fructifier ces acquis, augmentées d’une théorisation de l’ethnologie comme moyen de comprendre les ressorts des productions collectives et intégratrices du passé, dans l’espoir d’en tirer une leçon capable d’influer la société contemporaine. La guerre, paradoxalement, vint amplifier les intentions de l’UASB où abondaient les militants des différentes obédiences de l’Emsav, réunion hétéroclite des organisations attribuant à la Bretagne le droit à une destinée spéciale. En conséquence, elle subit tous les contrecoups de l’aventurisme politique que connut alors la Bretagne. Creston qui, comme Gaston Sébilleau, contribua par ailleurs à la Résistance, figura parmi les principaux animateurs de l’Institut celtique de Bretagne – créé pour préparer les élites à l’exercice de l’autonomie dans les domaines des arts, des lettres et des sciences –, y plaçant systématiquement l’UASB en bonne place. Mais l’ampleur des projets – spécialement l’organisation de l’Artisanat voulue par le régime de Vichy – fit naître des rivalités au sein du groupe où l’ambiance devint délétère. Creston perdit progressivement la main et démissionna de la présidence du mouvement le 4 février 1944 ; il fut remplacé par Xavier de Langlais. Après-guerre, il envisagea fugacement une relance, qui était désormais sans objet : la tâche assignée avait été largement accomplie et l’époque qui s’ouvrait requérait de nouveaux dispositifs. Le 26 juillet 1947, une ultime rencontre, dans la librairie briochine de René-Théophile Salaün, scella cette aventure à laquelle soixante-deux Seiz Breur avaient pris part.