Le conte en Bretagne

Au bon vouloir de la littérature savante

Jusqu’aux grandes collectes du XIXe siècle, la documentation concernant les contes populaires en Bretagne se révèle d’une grande pauvreté. Dès le XIIe siècle pourtant, on en trouve des traces dans les lais bretons qui charment alors une bonne partie de l’Europe comme ceux écrits par Marie de France.

Oiseau merveilleux, géant, bête extraordinaire... Voilà comment apparaît Merlin, le célèbre enchanteur de la littérature arthurienne, dans les contes bretons notés aux XIXe et XXe siècles.
Illustration d'Olivier Leclerq pour Merlin, l'homme sauvage, de Jean-Louis Le Craver. Coll. « Paroles de conteurs », Syros, 1997.

Une veillée au XVIe siècle

« Après le dîner, le ventre tendu comme un tambourin, repu comme pataud, il [Robin Chevet] jasait volontiers, le dos tourné vers le feu, en écorçant du chanvre avec beaucoup de soin ou en arrangeant ses bottes selon la mode en cours... ; il chantait de façon très mélodieuse et selon les règles du savoir vivre quelque chanson nouvelle ; Joanne, sa femme, qui filait de l’autre côté, lui répondait de même.

Le reste de la famille œuvrait, chacun à sa tâche : les uns réparaient les courroies de leurs fléaux, les autres fabriquaient des dents de râteaux, brûlaient des cordes pour lier, par exemple, l’essieu de la charrette brisé par un trop grand fardeau, ou bien fabriquaient une verge de fouet en néflier.

Alors qu’ils étaient occupés à diverses besognes, le bonhomme Robin, après avoir imposé le silence, commençait un beau conte du temps où les bêtes parlaient - il n’y a pas deux heures - comment le renard dérobait le poisson au poissonnier ; comment il fit battre le loup par les lavandières lorsqu’il lui apprenait à pêcher ; comment le chien et le chat s’en allaient bien loin ; il contait l’histoire de la corneille qui, en chantant, perdit son fromage ; celle de Mélusine ; celle du Loup-Garou ; celle de Cuir d’Anette ; celle des fées : il leur parlait souvent avec familiarité, prétendait-il, surtout lorsqu’il passait à la brune par le chemin creux et qu’il les voyait danser le branle près de la fontaine du Cormier, au son d’une belle cornemuse couverte de cuir rouge... »

Noël du Fail, Propos rustiques, éd. Picollec (adaptation en français moderne), 1987.

« Les contes que jo saï verais, dunt Ii Bretun unt fait les lais, vos conterai assez briefment.
Je vais vous raconter en peu de mots les contes dont je sais qu’ils sont vrais. les contes dont les Bretons ont tiré leurs lais. »

Marie de France, Lai de Guiguemar.


Les exempla («exemples» dont se servent les prédicateurs du Moyen Age pour illustrer leurs sermons et qui ont été rassemblés dans des recueils dès les XIIe-XIIIe siècles), les chansons de geste ou les romans de chevalerie, le Roman de Renart, les fabliaux… nous donnent également des formes anciennes de contes encore collectés aux XIXe et XXe siècles en Bretagne.

Pendant des siècles, le conte populaire ne nous est donc connu qu’en se coulant dans le moule déformant de la littérature savante, et son étude tient alors de l’archéologie. La description par Noël du Fail d’une veillée dans le pays de Rennes au milieu du XVIe siècle constitue un témoignage d’autant plus remarquable.

Poussé par son compère le renard, le loup mange de trop... et ne pourra pas ressortir de la cave. Connues par les fables de l'Antiquité, par le fameux Roman de Renart au Moyen-Âge, les aventures du loup et du renard sont bien présentes dans le répertoire des conteurs des XIXe et XXe siècles.
Illustration de Claude Verrier pour « Le loup et le renard », conte recueilli par François Cadic auprès de Mathurin Guilleray, de Noyal-Pontivy (Contes de Basse-Bretagne, Paris, Erasme, 1955). Coll. Fañch Postic.
Les veillées, pendant l'hiver, sont d'abord des réunions de travail. Elles sont aussi parfois l'occasion de jouer, de chanter, de conter.
Gravure d'Ollivier Perrin pour Breiz Izel (éd. 1918). Coll. CRBC.